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jeudi 18 août 2022

Dernier tableau (90)

 

– D’accord c’était donc cela la parotidite, c’étaient les oreillons !

– Pourquoi ? demande Fred.

– Madame Secondat m’a envoyé un dossier sur Leyden. Il y avait un dossier médical concernant une parotidite. Je n’avais pas compris quand j’ai lu et je crois qu’elle non plus. C’est énorme ce que tu as trouvé là. Tu as le bras long !

– Non, de bonnes relations, pas forcément haut placées mais bien placées, au bon endroit…

– Et tu ne pourrais pas m’obtenir des infos sur un petit margoulin à qui j’ai eu affaire ?

– Doucement, ce n’est pas une agence de renseignements ici. De qui s’agit-il ?

– Un soi-disant Renato, de son vrai nom René Luruquin, je crois. Ou éventuellement Gian-Marco Cobrizzi. Ce gars c’est le copain de Sara, il a cherché à me truander. Il a été un peu déçu, je te raconterai. Mais j’aimerais en savoir un peu plus sur lui et aussi sur Sara.

– Oh oh, je pensais que vous filiez le parfait amour ?

– Moi aussi je le pensais, jusqu’à hier.

– Ce type, c’est celui avec lequel elle était à l’inauguration où on s’est connus ? Ce bellâtre qui faisait ami-ami avec les Le Blévec et Lepetiot ?

– C’est lui. Tu crois que tu peux faire quelque chose ?

– Je vais essayer mais je ne te promets pas une enquête en règle. Ou ce type est bien connu des services de police, comme on dit, et alors là no problème je te rappelle rapidement. Ou c’est un illustre inconnu et c’est tout. Tu as dit René Luruquin, dit Renato. Et Sara, rappelle-moi son nom ?

– Sara Weill-Lucet.

– Ok, je vois cela et je te rappelle en fin de matinée pour te dire s’il y a de la matière. à plus.


Il raccroche. Son café a refroidi. Il le jette et s’en sert une autre tasse.

Ce sacré Leyden ne me lâche pas, se dit-il. Avec lui, il se passe toujours quelque chose, comme s’il fallait absolument qu’il arrive jusqu’à la vérité dans cette affaire.

Il sirote une autre tasse de café et se met devant son ordinateur. Il ne cherche rien de particulier, il regarde un peu les infos, il fait des réussites et le temps passe. Le téléphone sonne, c’est Fred.


– Eh bien, tu vois, j’ai de quoi parler, dit-il. Ton René Luruquin n’est pas un inconnu. Il a même un casier. Oh, c’est pas la grande truanderie, c’est plutôt le petit escroc. Il a fait dans la fausse monnaie et les faux fafs.

– Je m’en doutais un peu, je te raconterai plus tard.

– Mais il est aussi tombé pour proxénétisme : pas le mac de grande envergure non plus, mais il a eu son heure de gloire. Il avait deux gagneuses, ça roulait pour lui et un jour, pour dieu sait quelle raison, elles l’ont chopé par le colback et rossé d’importance. L’histoire a fait le tour de la capitale. Il a laissé tomber le pain de fesses et s’est mis à vivre de petites escroqueries. Il a rencontré tu sais qui ?

– Sara ?

– Perdu, une certaine Antoinette Lucet, divorcée de Lucien Weill. Enfin, mariée à dix-huit ans et divorcée à vingt-huit. Elle tombe sur ce Luruquin qui monte aussitôt un négoce de ses charmes et de ses talents. C’est une vraie artiste, peintre de talent et copiste de qualité. Acoquinée avec Luruquin, elle devient une vraie faussaire et une authentique gourgandine. Vraie faussaire, mais sans génie : elle copie. Luruquin vend les copies à prix réduit à des bourgeois friqués à qui il laisse sous entendre que le tableau est un original probablement volé. Acheter ce tableau est un investissement à long terme, il faut attendre que les choses se tassent et le bourgeois pense qu’il laisse une fortune cachée à ses descendants. D’où, peu de plaintes de la part des acheteurs. Mais quand on ne vend pas cher… on vend beaucoup et quand on vend beaucoup il y a toujours un risque de tomber sur un os. Ils avaient même réussi à couillonner un avocat. Mais ils sont tombés sur un épicier en gros qui a porté le pet. Ils auraient été coincés s’ils n’avaient pas pris en vitesse un vol pour Buenos-Aires. Les flics ont enquêté, ils avaient plusieurs autres pistes mais aucune plainte. Les deux lascars sont revenus deux ou trois ans plus tard et auraient repris leurs activités. Il y a aussi eu des plaintes pour chantage et extorsion de fonds. Antoinette draguait des bourgeois, les ramenait chez elle et René débarquait et faisait un foin terrible, ne se calmant qu’à la vue d’espèces sonnantes et trébuchantes. Mais ils sont toujours passés entre les gouttes, les plaintes n’ont jamais abouti. Ensuite, pour la police, Antoinette a disparu. Renato a continué à bricoler ici ou là. Il a une activité officielle, il est le secrétaire d’un financier et il s’occupe de sa collection de voitures anciennes.

– De là la BM, dit Hervé in petto.

(à suivre...)

jeudi 11 août 2022

Dernier tableau (89)

 

– Ma tire, comme tu dis, c’est comme un coffre-fort ! Jamais personne n’y a rien volé. Ma main à couper que tes tableaux t’attendent bien gentiment.

– Bon, si tu le dis, je te crois. Je voudrais encore te demander une petite chose : je ne veux pas que la Visa reste sous mes fenêtres. J’ai toujours les clés et la tête de Delco chez moi. On va chercher les tableaux, on les ramène chez moi, je prends les clés et la pièce, on descend mettre la punaise en route, je la gare sur le boulevard Laparrat et tu me ramènes ici. Et à ce propos, je vais te filer des sous pour te défrayer de ta soirée et de ton essence.

– Tu ne me files rien, à charge de revanche qui sait ? Mais pour le taxi depuis le boulevard, c’est Ok. Tu as la flemme de marcher ?

– Oui, un peu. Et je ne veux pas trainer près de chez Sara, je pourrais faire une mauvaise rencontre…

– Tu ne veux plus la revoir ?

– Je me méfie maintenant, j’aurais peut-être dû le faire plus tôt, mais c’est comme ça…


Ils consomment leurs cafés et leurs croissants et vont ensuite constater que les tableaux sont toujours dans la fourgonnette. Ils les remettent en place chez Hervé, puis redescendent. Hervé prend la Visa et la gare sur le boulevard. Il saute ensuite dans la fourgonnette d’André.


– Tu as laissé les clés dessus ? demande ce dernier.

– Non, elle a peu de chances de tenter les voleurs, mais tout de même…

– Et tu comptes en faire quoi ? Les balancer dans un égout ?

– Quand même pas, je ne sais pas…

– Alors, passe-moi cela, dit André en prenant les clés. Tu m’as dit quel numéro dans la rue Onfray ?

– Le 27, tu ne peux pas te tromper, il y a un panneau « atelier d’artiste ».


André sort de la voiture et part dans la rue Onfray. Il revient deux minutes après et reprend le volant de la deux-chevaux.


– Les clés sont dans la boîte aux lettres, restons galants jusque dans l’adversité !


Il dépose Hervé rue Équoignon et repart vers ses activités habituelles.


*


Arrivé dans son appartement, Hervé met un peu d’ordre et se prépare du café. Le téléphone sonne.


– Hervé Magre ? C’est Tucaume, Fred.

– Salut Fred, comment vas-tu ?

– Bien, bien. J’ai des nouvelles pour toi. Tu te souviens, je t’avais dit que je pouvais tenter de retrouver quelque chose du dossier Veudenne dans les archives.

– Le dossier Veudenne ?

– Le dossier Madeleine Veudenne, le dossier Leyden si tu préfères. L’archiviste que je connais m’a laissé le consulter. Mais juste consulter, pas question de faire des photocopies, pas question de prendre des notes. Mais je peux te dire ce qu’il y a dedans. Et ce qu’il n’y a pas. Car l’archiviste m’a dit qu’il manquait au moins une pièce, sinon deux. Il y a en tout cas un premier procès-verbal d’audition d’Artur Leyden, concernant ses relations avec Madeleine Veudenne. Puis il y en a un autre dans lequel il est question d’un certificat médical établi par un médecin de l’hôpital de Rennes. Il en ressort que, suite à une maladie dite infantile – les oreillons – qu’il avait contractée vers l’âge de trente ans, Leyden était devenu stérile. Le médecin a aussi été auditionné, j’ai vu le PV. Apparemment, l’enquête en était à ce point-là lorsque Leyden est décédé. Et c’est là qu’il y a un deuxième point très intéressant : le dossier a été classé, le dossier dit « Madeleine Veudenne » je te rappelle, mais pas sur ordre du procureur. Il y a dans le dossier une note du secrétaire de la sous-préfecture. Il y est fermement demandé de classer le dossier suite au décès des deux protagonistes. C’est bien le mot employé. Le gendarme qui a reçu cet ordre a noté qu’il avait appelé le bureau du procureur. Il n’avait eu qu’un substitut qui lui avait répondu « ne vous posez pas de question, faites ce qu’ils vous disent ». Le gendarme a noté cela, il voulait sans doute se couvrir. Voilà, c’est tout, mais cela tendrait à prouver que Leyden était pour ainsi dire innocenté. Stérilité ne veut pas dire impuissance, bien sûr, mais il n’avait en tout cas pas mis la gamine enceinte. Ensuite, il y a eu intervention de la part de l’exécutif. Je ne dirais pas que cela n’arrive jamais, mais c’est quand même ce que l’on appelle une intervention venue de haut. Troisième point, il manque une ou plusieurs pièces dans le dossier. Ce n’est pas un coup de vent fortuit qui a fait cela. Je ne dirais pas non plus que cela n’arrive jamais, mais cela pose toujours question.

(à suivre...)

jeudi 4 août 2022

Dernier tableau (88)

 

– Sans commentaire, tu vis du fric de la sécu et tu fais du Schwarz pour pas la financer. T’es bien un petit cochon comme je disais. Tiens, sers-moi un coup de la boutanche que tu as payée avec le fric de la sécu.

– Voilà, voilà. Mais faut pas m’en vouloir, je suis tout en bas de l’échelle. Je te signale que les toubibs, avec les dépassements d’honoraires et autres, ils s’en font aussi du Schwarz comme tu dis.

– On va pas refaire le monde, tu m’as avoué tes turpitudes, elles sont à moitié pardonnées.


La conversation continue ainsi, languissante et sur un mode pâteux. Ils finissent la bouteille, ils se lèvent et, en titubant, vont payer leur dû à la patronne, rassurée lorsqu’ils lui déclarent qu’ils ont cent-cinquante mètres à faire pour rentrer à pied à la maison.

La fraicheur de la nuit les dégrise légèrement, mais ils ont un peu de mal à arriver sereinement à la maison d’Édith.


– C’est là qu’on va voir si on est bons, dit Hervé. Pas question de réveiller madame Lemond. On monte doucement l’escalier et tu serres les fesses !

– T’inquiète, je prends mes précautions, répond André avant de franchir le seuil.


Il largue une autre caisse sur le trottoir et entre. Ils montent l’escalier sans bruit et arrivent dans l’appartement d’André.


– Je vais ouvrir le canapé.

– Surtout pas, ce serait bien trop long, dit André qui enlève ses chaussures et s’affale de tout son long. Dis-moi seulement dans quelle direction sont les chiottes, ça peut toujours servir.

– C’est ici à gauche, répond Hervé. Bonne nuit, ma poule.


André ne répond pas, il dort déjà. Hervé entre dans sa chambre et, lui aussi, une fois déchaussé, se laisse tomber tout habillé sur le lit.


*


Le réveil est un peu difficile pour les deux comparses. André ouvre les yeux le premier, il reste un moment la tête entre les mains. Hervé sort de la chambre.


– Oh, déjà habillé, monsignor ?

– Il est l’or, monsignor. Soyons francs, j’ai moi aussi dormi tout habillé et je me réveille la tête dans le cul.

– Écoute-moi, il est presque dix heures. Tu vas te passer sous une douche froide puis tu me laisses la place. Ensuite, sans te commander, on va retourner au troquet d’hier soir avaler deux croissants et deux maxi cafés. Sans cela, on n’y arrivera pas. Exécution !


Sans discuter, Hervé entre dans la salle de bains. Il prend une douche froide puis laisse la place à André. Ensuite, ils partent au bistrot. La patronne les reçoit avec un petit sourire admiratif :


– Il y en a qui assurent, couchés tard et chargés, ils arrivent à émerger avant midi. Et pour ces messieurs, ce sera un petit jaune peut-être ?

– Beuh, non, dit André. Vous avez bien encore quelques croissants ?

– Je n’ai jamais de croissants. Si vous en voulez, la boulangerie est à côté, vous allez vous les acheter.

– Alors, deux très grands noirs et j’arrive avec les croissants.


Hervé s’assoit à une table et attend André qui revient peu après avec un sachet de croissants.


– Bon, on en est où maintenant ? dit-il.

– On en est qu’on a laissé les tableaux toute la nuit dans ta tire, répond Hervé.

(à suivre...)

jeudi 28 juillet 2022

Dernier tableau (87)

 

– Ce macaroni a le cul bordé de nouilles ou alors il est cocu ou les deux à la fois. Il était à peine dans la rue Comédon qu’un taxi est passé, un retour de course je suppose. Il s’est arrêté et le Toto est monté dedans. Il ne va pas tarder à récupérer sa béhème.

– Encore faudrait-il qu’il sache rebrancher les fils du contact, tu ne penses tout de même pas que j’ai tout remis en place. Mais il va pouvoir remettre la main sur sa fausse monnaie et donner un pourliche royal au taxi, répond Hervé.


Ils attaquent le fromage dans la foulée, commandant une autre bouteille de vin rouge.


– Toutes ces émotions, ça me dessèche la gorge, déclare André. Mais je ne savais pas que tu avais une bonne descente toi aussi.

– Je ne bois pas souvent, mais quand je m’y mets, je m’y tiens. En tout cas, je retiens l’adresse pour les sandwiches. Je n’ai pas encore eu l’addition, mais j’ai comme l’impression que je reviendrai, dit Hervé en servant un verre de rouge.

– Par contre, au point où on en est, tu n’aurais pas un fauteuil ou un canapé à me prêter pour la nuit ? Je dépassais déjà la limite autorisée avant que tu me téléphones, mais maintenant le vinaigre des cornichons risque de faire virer le ballon. Et puis, ma bobonne n’aime pas me voir rentrer avec l’haleine trop chargée…

– Pas de problème, il y a même un convertible et un petit déjeuner demain matin, répond Hervé.

– Bien, alors je l’appelle pour lui dire que j’ai une urgence ce soir, un boulot de nuit, que sais-je…


André sort sur le trottoir et rentre après avoir appelé.


– Parfait, dit-il. Elle menace de divorcer, c’est bon signe.

– Dans quel sens ?

– C’est un signe de santé mentale. Comment voudrais-tu qu’elle survive avec un mari comme moi si elle n’envisageait pas de temps en temps la possibilité du divorce ? C’est comme la vraie perpète pour le taulard, ce serait à devenir dingue. Alors qu’en taule tu peux toujours espérer des remises de peine.

– C’est le bagne pour une gonzesse d’être mariée avec toi ?

– Pire que cela. Allons, ne détournons pas la conversation. T’as commandé une troisième bouteille de pif à ce que je vois. Alors sers-moi un coup et continues ton histoire.

– Si je dois tout te raconter, on en a jusqu’à demain et il est déjà minuit. Je vais rester sur l’essentiel, que tu comprennes, déclare Hervé.


Et il reprend l’histoire du tableau, de Leyden, d’Achille et tutti quanti. Une heure plus tard, André s’exclame :


– Merde, encore une boutanche de vide. C’est pas possible, il doit y avoir un trou au fond ! Madame, s’il vous plaît, une autre et c’est pour moi. Et après, c’est promis, on s’en va.


Il se penche légèrement sur son siège de manière à libérer une fesse et, comme la patronne est partie chercher une bordelaise dans l’arrière-boutique, il lâche une flatulence prolongée et modulée, dans les graves.


– André, je t’aime bien mais t’es un cochon, décrète Hervé sur un ton un peu vaseux. La patronne va venir et tu vas l’embaumer. Tes paroles - comme disait un de mes clients -tes paroles sont bien bonnes mais ton cul les empoisonne !

– Je crois qu’on a intérêt à la boire celle-là et d’aller au pieu en effet, répond André.

– Bon, dis-moi. Tu sais que je suis retraité, mais moi je ne sais rien sur toi. Tu fais quoi dans la vie quand tu ne travailles pas pour Marondeau ?

– Bonne question, tu crois peut-être que je vis d’amour, d’eau fraîche et du salaire de ma femme ? Que non pas ! Je bosse à l’hôpital de Saint-Lambaire, je suis ouvrier d’entretien, j’ai des horaires décalés qui me permettent d’être assez disponible. Je fais du black, comme tout travailleur manuel fonctionnarisé…

(à suivre...)

jeudi 21 juillet 2022

Dernier tableau (86)

 

– T’as vraiment pas intérêt à revenir ici et t’as pas intérêt non plus à avoir fait des doubles, je peux être rancunier des fois. Pour ta tire, je te donnerai un seul conseil, va voir au commissariat de Saint-Bélié, examine les abords des fois qu’elle y serait. Seulement, j’ai une mauvaise nouvelle pour toi, c’est que tu vas y aller à pied. Tu vas gentiment me donner les clés de la Visa. Et ne traîne pas, il va encore arriver du monde.


Renato ne semble pas décidé, mais André exhibe un peu plus son calibre. Dans le noir, avec son crâne dégarni, il a un peu une sale gueule cet André, pense Hervé, juste de quoi inquiéter un trou du cul comme Renato. Ce dernier sort un trousseau de sa poche et le donne à Hervé.


– Maintenant, je crois que tu peux te casser, dit Hervé.

Azzurro, le ciel est bleu comme l'azzurro en Italie
Azzurro, mais à Paris il pleut des cordes, et je m'ennuie
Allora je me fabrique un train de rêve qui va, qui va vers toi
Mais le train me laisse en route
Et chaque soir je rentre à pied chez moi
, chantonne doucement André dans l’oreille de Renato.

– Et on ne se revoit plus jamais, jamais, conclut Hervé.


Renato part rapidement, les deux autres se regardent en souriant.


– Je ne savais pas que tu avais un flingue sur toi.

– C’est un pistolet d’alarme, un Olympic 38, ça fait du bruit, ça fait peur aux couillons, mais ce n’est pas une arme. Je l’ai récupéré en vidant une baraque, je suis le roi du vide-grenier.

– Gros malin, va, dit Hervé. Bon, un instant, je sors la tête de Delco à cette chiotte au cas où notre Toto aurait l’idée de revenir avec un double des clés. Soit il va à Saint-Bélié à pinces, soit il se paie un taxi, pas de demi-mesure !


Il va jusqu’à la Visa, ouvre le capot et démonte la tête de Delco. Après quoi il referme la voiture.


– Et maintenant, un bistrot et en vitesse, dit André. Tout cela m’a donné soif. Et faim, si tu savais !

– S’il y a urgence, y’a le bistrot de la place, ici. C’est ma tournée. Après toi, dit Hervé en ouvrant la porte du troquet.


Ils entrent et s’assoient à une table près de la devanture. Hervé commande deux sandwiches jambon-beurre et deux demis, avec une priorité pour les demis. La patronne sert les boissons, après quoi elle revient avec un plateau garni d’une assiette contenant plusieurs tranches de jambon de pays, d’un panier avec une dizaine de tranches de pain gris, d’un beurrier garni et d’un bocal de cornichons. Les deux compères se regardent et attaquent le copieux plateau. Hervé explique à André les tenants et aboutissants de l’affaire et, le pain aidant, ils commandent une bouteille de vin et deux sandwiches au fromage, histoire de voir, disent-ils après avoir vidé le plateau au jambon-beurre. La patronne porte un autre plateau avec du pain et du beurre et repart chercher un plat de fromages, généreusement garni. Elle a juste tourné le dos qu’André signale :


– Holà, voilà ton macaroni d’opérette qui vient de passer, je jette un coup d’œil, reste assis.


Il sort, reste dehors quelques minutes puis rentre et s’assoit :


– Bien vu, le gars est allé essayer de démarrer la Visa, te fais pas trop voir, il va repasser dans l’autre sens.


En effet, ils voient Renato passer de l’autre côté de la rue. André ressort et rentre deux minutes après :

(à suivre...)

jeudi 14 juillet 2022

Dernier tableau (85)

 

– Et maintenant, direction le bistrot, que tu me fournisses des explications détaillées sur tout ce bordel. Je veux bien travailler, mais je veux savoir de quoi il retourne. J’espère que tu as de quoi payer à boire, c’est ta tournée mon poteau !

– J’ai ce qu’il faut, on se trouve un bistrot tranquille et pas trop loin ni de chez toi ni de chez moi. Parce que moi je rentre à pied et toi tu conduis.

– No problème, il y a ce qu’il faut à l’angle de la rue Comédon…

– Attends, je pense à quelque chose. Le Renato, lui, il est rentré chez moi. Mais il a toujours mes clés dans ce cas. Qui me dit qu’il ne va pas chercher à faire une nouvelle descente domiciliaire ?

– Oui, mais il n’est plus motorisé, il faut qu’il y aille à pinces…

– Plus motorisé, c’est relatif. Il reste la Visa de Sara.

– Holà ! Quelle couleur la Visa en question ?

– Un brun passé, une punaise écrasée.

– Ce genre de caisse vient de nous passer sous le nez, on voit ses feux d’ici. Elle remonte la rue Comédon. On fait quoi, alors ?

– Accélère, on suit et tu me déposes avant la rue Équoignon. Je veux être aux premières loges pour voir ce que va faire ce rital à la noix.

– C’est bien cela, il tourne vers la rue Équoignon. Descends, je me gare.


Hervé descend et sort sa casquette qu’il fourre dans sa poche. Il passe la place et voit la Visa se garer. Un homme en descend. C’est bien Renato. Hervé s’avance discrètement de l’autre côté de la rue. Renato se dirige vers la maison de madame Lemond, il sort un jeu de clé et s’apprête à ouvrir la porte d’entrée. Hervé traverse rapidement la rue, vérifiant au passage qu’il n’y a plus personne dans la Visa.


– Alors, on vient en visite sans s’annoncer mon petit Renato ? à moins que ce ne soit plus simplement René, René Luruquin par exemple ? l’interpelle Hervé.

– Connard, dit Renato en se retournant, qu’as-tu fait de ma voiture ?


Renato sort un couteau de sa poche, et d’un rapide cliquetis du cran d’arrêt fait jaillir la lame. En même temps qu’il voit le côté tragi-comique de Renato qui semble être l’image de sa propre caricature, Hervé sent son cœur se mettre à cogner. Il sort la clé à griffe de son blouson.


– Mon matos est un peu plus rustique que le tien, un peu lourd aussi, mais je sais m’en servir. Alors, on fait quoi maintenant, joli cœur ?

– On remballe la marchandise, dit une voix derrière, celle d’André qui pointe un revolver en direction de Renato. Allons, mon Renato, mon Toto, tu vas rendre les clés à Monsieur et fissa, c’est à lui et c’est pas bien de vouloir entrer chez les gens sans frapper.


à ce moment arrivent deux personnes qui descendent du trottoir en voyant l’attroupement des trois hommes. Renato replie discrètement son couteau, Hervé baisse sa clé et André glisse son revolver, toujours pointé vers Renato, dans la poche de sa veste. Lorsque les deux passants se sont éloignés, André reprend :


– Tu vois, Toto, faut pas traîner, donne les clés au Monsieur.


Renato tend le trousseau à Hervé qui les prend.

(à suivre...)

jeudi 7 juillet 2022

Dernier tableau (84)

Deux minutes plus tard, le coffre est ouvert et Hervé voit deux paquets, il ouvre celui du dessus. C’est bien Le Bussiau, le tableau d’Artur Leyden. Il prend les deux paquets, referme le coffre sans le verrouiller et remonte voir André. Il ouvre la porte arrière de la fourgonnette dépose ses deux paquets, puis il revient s’asseoir à côté d’André.


– Tu avais raison, il fallait insister. Le gonze a changé de chignole, mais pas de goûts. Il aime les sportives de collection.

– Et il roule en quoi présentement ?

– Coupé jubilé, ça te dit quelque chose ?

– Nibe de nibe. Éclaire-moi.

– Dans les années soixante, BMW a sorti un coupé 1600, en 67 je crois, pour les cinquante ans de la marque. C’est plus très courant dans les rues, j’ai tilté. Sur le siège arrière, il y avait une sacoche, j’ai cru reconnaître la sacoche du mec. J’ai regardé dans le coffre et j’ai trouvé ce que je cherchais…

– Ne me dis pas que le coffre n’était pas fermé à clef…

– Non, mais tu sais, c’est le genre de serrure qui s’ouvre en soufflant dessus.

– Et on souffle dessus avec de jolis gants aux mains pour ne pas laisser la trace des lèvres, bien sûr. On fait quoi, maintenant ?

– Maintenant, j’ai bien envie de lui donner une petite leçon à mon jubilaire.

– Du genre ?

– Du genre lui balancer sa caisse dans la flotte. Mais ce serait dommage pour la caisse. Je pourrais la déplacer et la garer devant le commissariat. Ou devant une synagogue et bigophoner aux flics qu’il y a une voiture suspecte.

– Cherche pas trop loin, le coup du commissariat, c’est déjà pas mal. Mais pas à St-Lambaire, plutôt à Saint-Bélié. C’est plus facile de se garer et de partir en douce, crois- moi.

– D’accord. T’aurais pas une clé à griffe dans cette bagnole ?

– Oui, je crois bien. André se retourne, plonge le bras à l’arrière et le ramène armé d’une clé à griffe longue d’une quarantaine de centimètres.

– Parfait. C’est le passe obligatoire sur ces modèles en cas de blocage de la direction. Tu vas faire demi-tour et te garer à une centaine de mètres. C’est toi qui m’ouvriras la route, j’arriverai en faisant un double appel de phares. Dis-toi qu’on ne craint pas grand-chose de la part de Renato, avec ce qu’il a dans sa sacoche, il ne va pas porter plainte à la légère. On fonce vers le commissariat de Saint-Bélié, je gare la jubilé et tu me récupères. Pour les explications détaillées, je te ferai le vingt-heures après, avec la météo en prime. Maintenant, j’y vais. Il devrait me falloir au plus dix minutes.


Hervé glisse la clé à griffe sous sa veste et sort de la voiture. Il entend André démarrer la deuche. Il rejoint le coupé, regarde autour de lui, la rue est toujours calme. Il ouvre la portière du conducteur sans difficulté particulière et s’installe au volant. La direction n’est pas verrouillée et il lui suffit donc de débrancher quelques fils et de les reconnecter à l’aide des pontets qu’il avait emportés. La voiture démarre, le moteur tourne parfaitement. Il débraye, passe la première et fait sortir la voiture de sa place de parking. Il avance doucement dans la rue quand il voit arriver une silhouette. Il croit reconnaître Renato, il enfonce sa casquette sur ses yeux et accélère doucement. Ce doit bien être Renato car il réagit tout à coup et s’élance au milieu de la rue, barrant le passage à la voiture. Hervé s’arrête et commence à baisser la vitre, en faisant mine de vouloir parler. Renato vient vers la portière en gardant une main sur le côté de la voiture. Hervé accélère alors, brusquement, et sort de la petite rue. Il débouche un peu cavalièrement sur le boulevard, fonce en direction de la voiture d’André en faisant un double appel de phares. La deuche démarre immédiatement mais il la dépasse. Dans le rétroviseur, il voit Renato qui a couru jusqu’à l’angle de la rue et qui est maintenant bras ballants, regardant s’éloigner le coupé blanc. Hervé continue à foncer, il voit qu’André le suit péniblement mais qu’il reste dans son sillage. Arrivé au square Tocqueville, Hervé tourne à gauche puis, quand il sait qu’André peut l’apercevoir, il ralentit, met ostensiblement son clignotant à droite et se gare. Quand André arrive, Hervé lui fait signe avec le bras de passer devant. André accélère et les voilà partis. Ils traversent sans encombre les faubourgs de St-Lambaire et arrivent dans Saint-Bélié. André emmène Hervé dans le centre ville puis sur une avenue plus large où il lui fait signe. Hervé aperçoit le commissariat. Il n’y a même pas un planton dehors et il se gare à une quinzaine de mètres. Il sort de la voiture sans la verrouiller et fait tranquillement à pied les quelques mètres qui le séparent de la deuche, la casquette toujours rabattue sur les yeux. Il prend place dans la camionnette et André démarre.

(à suivre...)