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dimanche 14 avril 2013



Chronique du temps exigu (66)
(...)Au bout d’une heure, je demandai à l’un d’eux la direction de la Calle Jada. Mon informateur me demanda tout d’abord si j’étais bien sûr de vouloir me rendre dans cette rue. Après que j’eusse confirmé mon intention, il m’indiqua le chemin en concluant : « ne vous y attardez pas, señor, revenez vite… ». Je n’y fis guère attention et pris la direction indiquée. A mesure que j’avançais, le quartier devenait plus calme et les couleurs plus ternes. J’arrivai dans une rue aux petits immeubles gris et uniformes, ensuite vint une sorte de petit lotissement aux jardins exigus et sans végétation, clôturés, fermés de barrières automatiques. Je croisai un passant coiffé d’un chapeau sombre et qui avançait les yeux baissés. Lorsque je le saluai, il releva un peu la tête sans répondre et je crus voir dans ses yeux une tristesse infinie. Je n’osai l’interpeller plus et continuai mon chemin, sur des trottoirs immaculés et lisses, le ciel était devenu gris et je compris brusquement que j’arrivais dans un lieu où il n’y a ni beau ni mauvais temps, où tout est écrêté,  plat et morose. Je croisai un autre homme qui, appuyé sur sa canne et le regard fixe, me sembla terrassé par une constipation chronique et je passai une fois encore mon chemin. Enfin j’arrivai Calle Jada et trouvai la maison d’Ernesto Che Cussotile. Je sonnai à la barrière et un homme entre deux âges vêtu d’un complet gris sortit de la maison et se dirigea vers moi. Comme il me regardait d’un regard éteint, sans rien dire, je me présentai : « Bonjour, je suis PJRF, votre chroniqueur exigu… ». D’un geste, il me fit signe d’entrer et il me conduisit dans sa maison. Dès l’entrée, je fus saisi d’une torpeur triste en voyant le mobilier, certes coûteux mais impersonnel, propre mais sans lustre. Le salon où je pénétrai était à l’avenant, cossu et maussade, une télévision passait une série mélodramatique et désenchantée. Je m’assis sur le bord d’un fauteuil et mon hôte s’installa en face. Je craignais qu’il reste muet mais il murmura : « J’ai fait un gros effort pour oser vous écrire, j’espère que vous ne m’en voulez pas… ». Je lui dis que je ne pouvais lui en vouloir mais que j’aimerais qu’il me parle un peu de lui. Ce qu’il tenta de faire. Il était né dans cette ville, dans ce quartier et ses parents, de modestes petits commerçants, lui donnèrent un prénom qui leur parut original en espérant que cela lui permettrait de se tailler une réputation. Pas de chance, un nommé Guevara avait déjà déposé ce nom, le fils Cussotile ne put ainsi sortir de l’ombre et cette malédiction le poursuivit durant toute sa vie. Il ne sortit jamais de ce quartier inanimé, il fit une carrière moyenne, épousa une femme normale et ils eurent statistiquement 2,28 enfants ; une fille, un garçon et un basset artésien. Ils eurent quelques maladies plus ou moins bénignes dont ils guérirent tant bien que mal. Ils n’échouèrent jamais en rien, ne commirent jamais d’erreurs mais ne triomphèrent jamais non plus. Ils organisèrent des fêtes sans éclat, eurent des accidents sans gravité, n’intéressèrent jamais qui que ce soit et restèrent dans l’ombre jusqu’au jour où Ernesto Che m’écrivit. Mais maintenant, il était trop fatigué pour en dire plus, il s’en remettait à moi pour le faire sortir, une fois seulement, de l’anonymat statistique où il se trouve confiné. Je lui promis de faire ce que je pouvais pour le satisfaire et il voulut conclure notre entrevue en m’offrant un petit verre d’usquebac à notre dolente amitié. Ce breuvage se révéla fade et de peu de goût mais je le déclarai parfait, ce qui revigora quelque peu Ernesto Che. Puis, je le quittai pour reprendre goût à la vie dans les quartiers hauts où je croisai l’homme qui m’avait suggéré de revenir rapidement. « Muy, bien… » me déclara-t-il en faisant un large sourire. Je retraversai les quartiers hauts mais le cœur n’y était plus. Qu’est-il donc possible de faire pour Ernesto Che Cussotile ? Comme la vie est lente / Et comme l’espérance est violente… parlerais-je de lui dans mes prochaines chroniques ?
On voit par là que / Les jours s’en vont je demeure.

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