Chronique du temps exigu (28)
Pour plusieurs raisons, cette vingt-huitième chronique sera
consacrée à l’amiral cap dont je vous ai déjà parlé le seize août. La première
raison, et la plus importante, est que le chiffre huit est son chiffre de
prédilection. J’ignore pourquoi mais c’est ainsi. La deuxième, et non des
moindres, est que mon ami l’amiral souffre de voir sa notoriété éclipsée par
celle de son ancêtre, à l’instar d’Emile Zola qui se morfondait de voir que
l’on faisait tout un fromage à propos de sa sœur Gorgone. La troisième, last
but not least, est que ma relation de nos mésaventures du quinze août a
suscité quelques moues sur les claviers.
Il serait regrettable que l’amiral cap passât à vos yeux pour
un ivrogne. S’il a un goût immodéré pour les alcools en mélange, il le tient,
certes, de son glorieux ancêtre mais aussi de son enfance difficile à bord de
la marine marchande. Il n’était encore qu’un moussaillon alors qu’il embarqua
sur un super-tanker, un de ces pétroliers géants qui sillonnent nos mers
et nos océans. Au nombre des tâches humiliantes et dégradantes qui lui étaient
réservées en tant que benjamin de l’équipage, il avait le rôle de taste-mazout.
En clair, il devait goûter la marchandise transportée, la déguster et en
déterminer les qualités et le millésime. Bien sur, comme tout dégustateur
avisé, il recrachait les liquides de dégustation après usage. Avez-vous,
vous-mêmes, déjà bu et recraché des produits pétroliers ? Si oui,
reconnaissez que cela provoque un désir immodéré de se rincer la bouche. D’où
la pépie chronique de mon vieil ami. Celui-ci était dur au labeur et ne s’est
pas laissé rebuter mais il fut débarqué un beau jour à Aden après avoir remis
un rapport comminatoire à son commandant. Dans ce rapport, il relatait avoir tasté
les produits de dégazage et constaté que, malgré leur belle couleur rubis
nocturne et leur cuisse ample, ces produits ne convenaient en aucun cas à
l’usage qui en était fait. En conséquence, le moussaillon cap demandait avec
une rare fermeté que l’on transportât du rouge pour les oiseaux et du blanc
pour les poissons et que l’on dégazât sélectivement. Si on devait empoisonner
les habitants de la mer, autant que cela se fît dans le respect des arts de la
table. Fuel pour les uns, gas-oil pour les autres. Cela ne fut pas du goût du
pacha qui le raya du rôle.
Prévoyant malgré son jeune âge, mon ami avait emporté dans ses
poches quelques verroteries dont un œil de verre, toujours prisées par les
étrangers des contrées sauvages. Il les échangea contre un boutre que lui céda
le roi d’une tribu de bédouins belges fixés dans un club de vacances. Après
avoir chaudement remercié le roi bédouin, il monta à bord de son embarcation
et, après un voyage mouvementé dont je narrerai peut-être un jour les épisodes,
il fit sa joyeuse entrée dans Paris non sans avoir soigneusement briqué son
navire au quai de Javel. Il était fort essoufflé car il avait brisé son mât
sous le pont de Garigliano et avait du en hâte confectionner un système de
galère à pédalier pour continuer à remonter le courant. Ayant constaté que la
Seine coule en effet sous le pont Mirabeau, il cingla ensuite jusqu’au quai de
Bercy où il s’amarra. Il arriva ce qui devait arriver en ce temps-là et notre
ami attrapa la fièvre éponyme, la fièvre de Bercy. Il était vacciné contre
toutes les fièvres tropicales, pas contre les fièvres tropicrates.
Depuis ce jour mémorable, l’administration a jugé utile d’y installer le
Ministère des Finances.
Remis de ses émotions, il reprit le cours de la Seine et de ses
aventures, se laissant porter par le courant. Il ralentit à la hauteur
d’Honfleur pour saluer la mémoire de son glorieux ancêtre puis, prenant son
élan à grands coups de pédales, il accosta à Douvres. Un britannique émerveillé
voulut lui acheter son bateau et notre moussaillon, qui pratiquait avec peine
la langue de cet insulaire, fixa le prix à une brique (notre franc avait
encore cours comme vous l’avez compris). Le sujet de Sa Gracieuse Majesté
accepta avec enthousiasme et fit monter cap sur un splendide brick.
L’affaire fut conclue séance tenante autour d’un apple-pie. Ils prirent
la mer de conserve, chacun sur son nouveau bateau et c’est ce jour-là que le
moussaillon se mit à son propre compte et acquit son titre d’amiral. L’anglais,
peu habitué à la navigation à pédales, perdit le cap assez rapidement car ce
dernier était poussé par le vent.
Toujours ingénieux, l’amiral réfléchissait à une possibilité de
naviguer sans peine mais sans toutefois utiliser de moteurs dont la source
d’énergie serait pétrolière. Il s’était fait trop d’amis parmi la faune des
océans. Il essaya tout, l’eau de mer, la méthanisation de ses effluents, la
traction baleinière, que sais-je encore… Il ne trouvait aucune solution
satisfaisante. Le déclic lui vint un jour de grève, il découvrit l’énergie
scolaire ! Il suffisait de récupérer toute l’énergie inemployée par les
enseignants pour mouvoir avec puissance le plus frêle esquif comme le plus
lourd croiseur. Le gisement est inépuisable. Bien sur, je ne dévoilerai pas le
procédé technique car il est encore protégé par un brevet.
On
voit par là que pour un boutre à l’œil on peut avoir le pie du voisin et
son brick. De nos jours pour une brique on a encore quelque chose
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