Chronique du temps exigu (31)
Et si, aujourd’hui, je parlais de la ponctuation ?
Je parlerai de la petite virgule qui donne de la musique et du
souffle à nos phrases, qui donne le rythme et le sens à nos périodes.
« Alors on mange les enfants ? » devient par la grâce d’une
seule d’entre elles : « Alors on mange, les enfants ? ».
Elle sauve des vies et nous préserve du cannibalisme, ménage notre souffle et
structure nos périodes. Merci petite virgule.
Il y a le point, point à la ligne ou point final qui nous
permet de repartir vers une autre phrase ou de terminer notre texte. Du point,
Ambrose Bierce disait qu’il n’avait pas toujours existé et qu’il avait été créé
par la mouche domestique ordinaire – Musca maledicta. Je cite :
« Ces insectes, qui sont toujours attestés dans le voisinage des auteurs,
embellissent avec générosité ou parcimonie les manuscrits tout au long de leur
composition, et, s’accordant à leurs besoins naturels, mettent en relief avec
une sorte d’instinct supérieur l’œuvre des écrivains, à leur insu » (A. Bierce, le dictionnaire du diable, article
« Chiure de mouche », trad. B Sallé, Rivages, 1989). Grâce
soit donc rendue à cet insecte, collaborateur émérite du rédacteur.
Les guillemets nous permettent de piller les idées des autres
en s’en exonérant mais aussi de citer des phrases que nous attribuons aux
autres alors qu’ils ne les ont jamais prononcées. Ce côté un peu faux-cul est
largement compensé par la proximité avec l’adjectif guilleret qui est un cousin
direct du guillemet. Laissons-les s’amuser en famille.
Le point d’interrogation interpelle le lecteur et certaines
langues lui mettent la tête à l’envers en le redoublant au début de la phrase.
¿ Qu’en pensez-vous ? Je dirais que je me sens encore plus interpellé.
Muchas gratias.
Le point-virgule, si délaissé de nos jours, indique une pause
moyenne, articulation subtile qui dit que la phrase continue sans tourner à la
virgule. Redonnons vie à ce malheureux et posons chaque jour au moins un point
virgule au pied de l’autel de la ponctuation.
Les deux points sont un moyen d’articuler deux termes d’une
phrase en développant le premier après cette ponctuation et en présentant le
second comme dérivant ou expliquant le premier. Ils permettent aussi
d’introduire une citation. Bénissons-les comme l’outil du développement de
notre pensée.
Et, pour mémoire, il y a encore les tirets, les guillemets, les parenthèses
et autres alinéas. Qui sait, peut-être aurons-nous l'occasion ultérieurement de leur faire hommage.
Mais il me reste à aborder le sujet qui fâche : les points
de suspension et les points d’exclamation. Pourquoi donc parler d’un sujet qui
fâche, téméraire auteur ? Parce que si je plaide pour la réhabilitation du
point-virgule, je constate dans bien des courriers que je vois passer sur mon
écran une gabegie de points de suspension et de points d’exclamation. A quoi
sert l’usage abusif des points de suspension sinon à laisser en suspens une
pensée qui n’arrive point à s’exprimer clairement ? Les points de suspension,
légers et en usage modéré, permettent à celui qui écrit de proposer au lecteur
de suivre son regard, de chercher le sous-entendu. Un usage ad nauseam est
le signe de la vacuité de la pensée de l’auteur. Il en va de même de l’emploi
immodéré du point d’exclamation. Ce dernier marque l’étonnement, une suspension
de la voix, une interjection ou une apostrophe. Utilisé sans modération, il
devient comme une barrière qui interdit à la pensée de vivre. Honte sur ceux
qui doublent, triplent, et même quadruplent parfois, les points
d’exclamations !
On voit par là que les mouches ont encore beaucoup à nous
apprendre.
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