Et parmi les grands oubliés de notre siècle, ceux et surtout celles dont on parle si peu, il y a dans un coin de notre mémoire la litote. Oui, la litote dont le caractère modeste est bien connu, figure de style discrète et réservée, arbre qui passe si souvent inaperçu dans la forêt des bouffissures, des exagérations et des grandiloquences, des hyperboles et des hypotyposes. Car qui de nos jours ose encore se servir d’une expression qui en dit moins pour en faire entendre plus ? Alors qu’il est de bon ton d’en dire plus et plus fort pour en donner à comprendre rien ou si peu.
Bien sûr, elle semble toujours utilisée pour minimiser les handicaps, les incapacités ou les infirmités mais ce n’est plus de la litote, c’est de l’euphémisme, du rabotage, une atténuation qui en dit moins pour en entendre moins comme l’autruche se met la tête dans le sable. Bientôt nous ne pourrons plus parler de crétins mais de mal-comprenants ni d’égoïstes mais de mal-partageants.
« Va, je ne te hais point », disait Chimène qui faisait de la litote ainsi que monsieur Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. La litote, c’est la force de la pensée qui n’a nul besoin de crier pour se faire entendre.
L’autre jour en me promenant, je croisai une vague connaissance qui, après que nous nous fûmes salués, dit en commentaire : « Il ne fait pas chaud ! ». Bel euphémisme, me dis-je en continuant mon chemin le long de la rue du Dutrout-Duquet, il fait moins dix au thermomètre ! Et deux minutes plus tard, je rencontrai mon vieil ami Ledug qui m’accosta en me disant : « Eh bé, avec un temps pareil, on supporte le slip ! ». Ah, pensé-je, mon bon ami Ledug est un litotélicien car voilà une belle litote !
On voit par là que l’avenir appartient à ceux qui vont aux litotes.
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