Chronique du temps exigu (5)
J’aurais voulu, dès lundi, parler de l’air qui me semblait
plus pur depuis la veille au soir mais on m’a conseillé de n’en rien faire.
Parler de l’air pur pousse à lever le nez vers le ciel, et les yeux aussi.
Alors qu’il vaudrait mieux porter les yeux là où l’on marche car l’on risque
encore de mettre le pied dedans. Nous nous poserons plutôt des questions sur
les intervalles.
A l’école, quand la maîtresse disait : « Ernest a
fait une clôture avec dix piquets distants de trois mètres. Quelle est la
longueur de la clôture ? », même s’il y avait toujours un bon élève
pour donner la bonne réponse après un temps de réflexion, un grand nombre
d’entre nous se précipitait pour répondre : « trente mètres,
m’dame ». Et nous ignorions qu’au-delà de notre erreur la maîtresse nous
posait une question térébrante. Analogue au paradoxe d’Achille et de la tortue.
En effet, deux piquets et un seul intervalle… trois piquets
et deux intervalles (et non pas des interveaux sauf dans le cas où l’on décrit
les espaces séparant de très jeunes bovins), quatre piquets et trois
intervalles et ainsi de suite jusqu’à nous prouver que la clôture d’Ernest mesure
vingt-sept mètres… Mais on constate que si dans le cas des deux piquets, les
piquets sont deux fois plus nombreux que l’intervalle, ce rapport va
décroissant alors que croît le nombre de piquets. Où va-t-on ainsi ? Le nombre
d’intervalles croissant avec le nombre de piquets, se trouvera-t-il un jour où
les intervalles auront rattrapé les piquets ? Admettons qu’un piquet
trébuche et il se trouvera – qui sait ?- un jour où les intervalles
dépasseront les piquets. En nombre, comme il se doit. Jusqu’à ce jour, les
piquets ont tenu bon mais un accident est si vite arrivé.
De nos jours, la sécurité n’a jamais été aussi grande et il
y a peu de chances pour qu’un tel accident survienne. Mais le calendrier maya,
garant d’une certaine insécurité, aurait prévu la fin du monde au cas où les
intervalles en auraient marre de leur statut d’éternels seconds et dépasseraient
en nombre celui des piquets.
On voit par là que plus la fin du monde approche, moins elle
s’éloigne et que l’intervalle de temps qui nous en sépare devient de moins en
moins grand au fur et à mesure qu’il s’amenuise.
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