En vedette !

dimanche 11 août 2013

Chronique du temps exigu (72)



Après avoir évoqué ou pratiqué maintes figures de style, le zeugme ou la verbigération, la litote, le psittacisme, l’hypotypose et l’hystérologie, je voudrais vous parler aujourd’hui d’un procédé littéraire que Bernard Dupriez dans son Gradus classe à l’article humour. Le Gradus (abrégé de Gradus ad Parnassum) recense les procédés littéraires sous forme d’une taxinomie classée dans l’ordre alphabétique.
Dans sa remarque 5 de l’article précité, il parle d’une forme particulière d’humour qu’il nomme « zwanze » (prononcer zouanze) dont il dit que c’est un humour typiquement bruxellois à base de pseudo-simulation et de truisme. Ce dernier est en quelque sorte une lapalissade et la pseudo-simulation une simulation qui ne se cache pas, ce qui la rend aussi réfutable qu’irréfutable tout en ayant tout de même été exprimée. On n’est pas loin du psittacisme…
Les grandes langues sont comme les grands fleuves, elles ont leur existence propre mais ne seraient rien sans les affluents qui les alimentent et en font ces cours majestueux que nous admirons. Que serait la Garonne si elle n’était abondée par la Dordogne, le Lot, le Gers, le Tarn…, que serait la langue française si on lui retirait ses racines latines et grecques ? Mais de même, les petits dialectes sont comme ces gentils fleuves côtiers abreuvés par de petits ruisseaux qui font les belles rivières. Le brusseleir, dialecte bruxellois, se nourrit des deux langues qui l’entourent mais il a sa vie propre, ses chantres et ses poètes.
Pour illustrer valablement mon propos et surtout pour rendre hommage à Roger Kervyn, fabuleux fabuliste brusseleir pratiquant le zwanze avec hardiesse et sans façons, je citerai in extenso une de ses « Fables de Pitje Schramouille » que j’ai eu le plaisir d’entendre de sa bouche même :

« In petit ketje des Marolles
Etait malade au lit de la pécole.
- Vous savez, ça est quand tu as la peau du cul qui se décolle.
Et y savait pa' aller à l'école
Et chez les boy-scouts non plus pas
Et il avait d' chaghrin avec ça !!!
Seulma, plus qu'y pleurait,
Plus que la peau d'son pett' se décollait !
Et sa mouma allait partout d'mandeïe consel
L'in disait : "Madam' te faut l' donneïe in lav'ment avec du miel."

Mo in ôter' ripondait :
"Dis lui plitôt qu'y doit se mett'
Avec son pett'
Dans ine assiett'
Avec du lait.
Alours te fermeïe les fernett' :
Comm' ça y va 'n fois bein transpireïe,
Et la peau de son pett' va se recolleïe."

"A moins seulma qu'ell' crolle
Et alours ça s'ra pas drolle !
Ca s'ra comm' avec le petit Alphonse
De la Cité Van Mons :
çuilà sa peau a tout à fait crollé
Et pui' elle a tombé
Et ell' a dû avoir sept ans pour répousser
Moi je dis qu'y faut contrair'
Le laisseïe da des coulants d'air."

In voisin
Croyait qu'ça venait de l'instintin :
Il apportait 'n klachke huil' de raisin.
C'était gentil mo c'était pas malin !

Et l'menonkel qu'était gharçon d'courses
Cheïe le droghiss' près de la Bourse
Disait : "Pour moi ça est de trop alleïe.
C'est plitôt de bismuth que tu duvrais donneïe."

Et la matante qui r'loq't les salles
Trois fois da l' s'main à l'hôpital
Criait : "On duvrait fair' in lavag' d'estouma
Avec in long tuyau en caïoutchou comm' ça ;
On aval' ça comm' si ça s'rait d' macaroni
ça yet pas très plaisant, mo on est vit' ghèri !"

On avait comm' ça d'ja parlé beaucoup des jours
Et le pett' du p'tit men se décollait toujours !
Alours on a 'n fois 'té chez Mossieù le docteur
- çuilà qu'avait da l' temps soigné sa petit' soeur,-
Et il lui a donné des spèc' de pilul' Pink
Et quans qu'il en avait pris cinq,
-ça est qua mêm' in bon mèdicament !-
Voilà qu' la peau d'son pett' collait meilleur qu'avant.

Que chaquin tient son èspécialité
Et les vach' seront bien ghardé. »

(Roger Kervyn de Marcke ten Driessche, La pécole)

Haut les cœurs, labbekaks, zivereirs et autres kiekefretters : entonnons après lui ce laaifstuk !




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire