Chronique
du temps exigu (19)
Une fois n’est pas coutume, je vais parler de chapeau. Pas de
ces chapeaux orgueilleux, bicorne, haut-de-forme et autre jardin potager. Non,
de mon vieux chapeau.
Un authentique panama fabriqué en Equateur, acheté un samedi
sur le marché de Nérac (Lot-et-Garonne). Du 58 s’il vous plaît. Qui vous donne
le style Compay Segundo. Un couvre-chef acheté en bonne compagnie par un beau
jour de juin 2007.
Mais cinq ans plus tard comment se fait-il que ce fidèle ami
fasse parler de lui ? Allons droit au but : il est bien cabossé et je ne peux m’en
défaire, comment ferais-je pour le jeter aux orties ?
Il apparaît furtivement dans les premières pages de mon
prochain roman, au cœur de la Bretagne. Il m’a accompagné sur les sentiers de
Dol à Saint-Malo en passant par Cancale. Il a résisté aux assauts du vent à la
pointe du Grouin alors que nous entendions au soleil couchant une cornemuse
bercer les sirènes de l’océan. Il s’est levé pour saluer de loin, à Combourg et
au Grand-Bé, l’auteur des Mémoires d’outre-tombe.
Mais encore, me direz-vous ? Et vous aurez bien raison de
le dire.
Mais encore, il est allé par les chemins et dans les bois, dans
les prés et au bord des ruisseaux ramasser des morilles à Moirax, des girolles
à Moncrabeau, des cèpes à Lizac et à Birkenwald, des lactaires, des mousserons
et des clitocybes en tous lieux. Il a fait de la marche, du vélo, du tracteur
et de la voiture. Il a pris le soleil, la pluie et les orages.
Mais encore, me direz-vous ? Et vous aurez bien raison de
le répéter.
C’est lui que vous avez vu sur un néphélocentaure chasser le Lachanoptère
et le Psyllotoxote. C’est lui qui s’est incliné devant la statue de Léonidas à
Sparte, qui passa sous le porche des lions à Mycènes pour s’émouvoir devant la
tombe de Clytemnestre. Discrètement, dès huit heures le matin, il admira l’Aurige
à Delphes. Le voilà ensuite sur les traces de Byron et Châteaubriant prenant
les premières gouttes de pluie au Cap Sounion. Il était sous le dôme d’Anaktora
Nestoros et il a gravi les marches qui montent au Parthénon.
Peut-on se séparer d’un couvre-chef aussi fidèle et aussi
chargé d’histoire ?
On voit par là que de travailler du chapeau n’est pas le
privilège des plus nantis.
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