"Pijm n’en peut plus, il part en courant, un éclair illumine
toute la maison, suivi aussitôt d’un coup de tonnerre formidable. Pijm court,
trébuche, il tente de rallumer sa lampe qui redonne une lumière normale. Pijm
se rend alors compte qu’il ne reconnaît plus le chemin. Il ne sait pas s’il est
sur le bon chemin. Il s’arrête pour reprendre ses esprits. Il réfléchit :
s’il s’est trompé de chemin, peu importe, car chaque chemin fait une boucle et
revient vers le chemin initial. Il faut qu’il parte, qu’il retrouve sa voiture,
son lit, sa femme, sa famille. Il se dit qu’il est fou de jouer ainsi avec le
feu.
Pijm repart. Le chemin descend, cela l’inquiète un peu, mais
soit, il continue, et tombe sur un autre imprévu : un autre chemin qui
part sur la droite. Il décide de le prendre. Il descend encore et finit par
arriver dans un vallon où le chemin part encore sur la droite en remontant. Un
nouvel éclair illumine toute la vallée et Pijm voit devant lui, au bord d’un
profond fossé, un pan de mur en ruine.
A côté du pan de mur, un petit homme lui fait
face, un tout petit homme, pas un enfant, mais un très petit homme. Cinquante
ou soixante centimètres de haut. Il porte un manteau sombre et un chapeau noir
tout simple, juste un court cylindre avec un rebord large.
Pijm garde sa lampe braquée sur
le petit homme, mais celui-ci ne semble ni gêné, ni ébloui.
-
Qui êtes-vous ? demande Pijm.
-
Je suis un occupant de ces lieux,
mon nom ne te dirait rien, répond l’homoncule.
-
Excusez-moi, je ne veux pas vous
déranger, je veux retourner à ma voiture.
-
Tu ne me déranges pas, reste ici,
la pluie commence à tomber très fort.
-
Mais ici je vais me mouiller…
-
Suis-moi, dit le petit homme.
Il entre dans une petite église
que Pijm aperçoit tout à coup, comme sortie du pan de mur.
-
Mais où est-ce qu’on est ?
Demande Pijm.
-
Dans l’église de La Furetière,
c’est ici que j’habite et on y est à l’abri de la pluie, répond le petit homme.
Dehors, la pluie tombe bruyamment
et l’orage gronde de plus belle. Pijm balaye de sa lampe l’intérieur de l’église.
Elle est très simple, les murs sont crépis et chaulés, un autel dans le chœur, deux
prie-Dieu, quelques chaises paillées. Le sol est fait de pierres calcaires un
peu disjointes.
-
Mais cette église n’est pas sur la
carte, objecte Pijm.
-
Bien sûr, puisqu’elle n’existe
plus à ton époque, dit le petit homme.
-
Mais vous, alors, qui êtes
vous ? Moi je suis Pijm, Pijm van Zwartkluut, je suis hollandais.
-
Disons que je m’appelle Tin Quiète,
si cela te rassure.
-
Mais vous vivez ici ?
-
A ma manière, oui. Mais je ne suis
pas comme toi. Je suis ce que les gens ici appellent un drac. Ou si tu préfères
un lutin. Je suis ici, ou ailleurs. Il est très rare que des gens comme toi
puissent me voir. Je me suis mis sur ton chemin pour éviter que tu te mettes en
danger. On dit que les dracs sont des malfaisants ou des malicieux, mais c’est
rarement vrai.
-
Mais qu’est-ce que vous faites
ici ?
-
Je ne fais rien, je suis là, c’est
tout. Je ne suis pas comme toi, je ne suis pas un humain, je n’ai pas besoin de
m’occuper, de faire, de boire, de manger. Je suis présent là où je suis, c’est
tout, répond Tin Quiète.
-
Mais alors tu es un esprit ?
-
Oui, on peut dire que je suis un
pur esprit, mais pour autant je suis là, je m’occupe si je veux, je fais, je
bois, je mange ce que je veux, quand je veux. Et cette nuit, je veux m’occuper
à t’aider.
-
Mais alors, tu sais ce que je
viens de faire ? Dit Pijm en passant lui aussi au tutoiement.
-
Je peux savoir qui tu es, ce que
tu viens de faire, n’oublie pas que je suis un drac…
-
Tu sais que je viens de voir des
fantômes ? Dans la maison, là-haut ?
-
Ce que tu as vu en bas dans la
maison, ce ne sont pas des fantômes, tu as juste vu une scène du passé se refléter
devant toi. Quand tu es monté dans la tour, tu as vu des esprits, pas des
fantômes.
-
Et pourquoi la scène s’est-elle
arrêtée ?
-
Parce que tu as bougé et que tu
n’étais plus en état de la voir, la scène ne s’est pas arrêtée.
-
Et cela s’est passé dans cette
maison il y a longtemps ?
-
Oui, il y a plus d’un siècle,
autour des années 1870, dit le drac.
-
Et tu étais déjà là ? Demande
Pijm.
-
J’étais là et je n’étais pas là,
je n’ai pas connu ces gens, mais je sais qui ils sont. Tu ne sais pas ce que
c’est qu’un drac. Je remonte à la nuit des temps. Je n’ai que peu de mémoire,
mais j’ai un accès direct à toute l’information de l’univers. Il suffit que je
pense à ces gens que tu as vus et je peux savoir qui ils sont, ce qu’ils ont
vécu, où ils sont allés. Tout cela est trop difficile à comprendre pour toi.
Est-ce que tu peux me dire en quelle langue je te parle ?
-
En néerlandais, tu parles la même
langue que moi, répond Pijm.
-
Eh bien, si un français écoutait
ce que je dis en ce moment, il dirait que je parle en français, et un russe
dirait que je parle le russe. N’essaye pas de tout comprendre, tu n’es qu’un
homme… Mais, assieds-toi, la pluie tombe encore trop fort pour que tu repartes.
Je vais te raconter l’histoire de ces gens que tu as vus.
Effectivement, dehors la pluie
tombe encore plus fort et Pijm entend l’eau qui coule dans le fossé. L’orage
est toujours violent. Pijm s’assied sur une des chaises paillées, un peu
surpris de se trouver sur une vraie chaise."
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