Nous voilà donc tous les deux dans le grand hall
de La Bertoude. Je me demande in petto
si elle compte me rejouer la scène de la sortie de taule.[1]
Une fois que les véhicules ont démarré dans la cour, elle pointe un doigt vers
mon plexus.
-
Monsieur Fortunio, vous me devez quelques
explications. Je n’ai guère eu l’occasion de vous voir tranquillement pendant
le chantier pour en parler mais il s’en est passé des choses après votre départ,
une certaine nuit… je pense que vous me devez bien cela. Rassurez-vous, je me
contenterai, en tout bien tout honneur, d’entendre la suite de vos aventures.
Et tâchez d’être concis, je dois rejoindre mon mari à sa réception avant onze
heures. Tenez, vous allez m’aider à ranger un peu les verres et les bouteilles
en me racontant tout cela.
-
Bien mais c’est une histoire à la fois très
simple et très compliquée…, commencé-je.
-
J’ai bien dit soyez bref. Alors il ne faut pas
me prendre pour une conne, cher monsieur. Vous avez disparu en laissant vos
hommes sur le chantier et il y a une chose dont je suis à peu près certaine,
c’est que vous êtes amoureux. Vous ne le savez peut-être pas : moi je le
vois, vous n’êtes plus le même que celui que j’ai fait sortir de prison il y a
six mois. Alors, je vous écoute et ne traînez pas, j’ai un train à prendre
comme l’on dit ! Et supprimez l’adverbe « mais » de votre
vocabulaire…
-
Bien, toutefois et néanmoins vous avez
certainement raison. Je résume : après être sorti d’ici un certain petit
matin, je suis revenu sagement chez moi où j’ai découvert que j’avais été
cambriolé. Bien sûr, je ne tenais pas à faire de pub et je suis parti à la
recherche de mes cambrioleurs…
-
Car ils étaient plusieurs ?
-
Oui, mais c’est le cerveau qui m’intéressait, si
je peux dire. Donc, après quelques péripéties, j’ai retrouvé mon bien.
-
Ah !
Non ! C’est un peu court, jeune homme !
-
Oui, je sais, Madame ! En bref, je me suis
retrouvé enfermé dans une cave à Toulouse, je me suis échappé, j’ai retrouvé la
trace de mes monte-en-l’air, de Clermont-Ferrand à Périgueux en repassant par
Toulouse. Ce fut dur mais j’y arrivai…
-
Et la femme dans tout cela ? Car il y en a
une, certainement.
-
Plus d’une, deux ou trois ou quatre…
-
Passons. Et vous avez récupéré votre bien :
c’était quoi, ce bien, pour que vous n’ayez pas voulu porter plainte ?
-
Primo, je n’allais pas déposer une plainte à la
gendarmerie, c’est bon, j’ai déjà donné. Ensuite, le plus efficace est bien de
courir plus vite que les voleurs. Bon, disons que j’avais un petit magot
planqué sous mon matelas.
-
Du black, quoi. Il y en a qui ont un compte en
Suisse et d’autres qui planquent leur fric sous leur matelas.
-
C’est une question d’échelle, mon magot était
modeste mais j’y tenais. Et j’ai bien fait puisque je l’ai récupéré. Ce qui
intéressait vraiment mon cerveau, ce
n’était pas mon petit magot, il a fait cela en passant. Il visait plus haut au
détriment de quelque connaissance à moi et j’ai réussi à déjouer ses
manigances…
-
On se croirait dans les aventures de Tintin.
Bon, je comprends que vous n’entrerez pas dans les détails. Mais, allez allez,
je veux savoir, pour la femme, celle qui compte, pas les deux ou trois autres…
-
Cherchez la femme, dit l’adage. Eh bien je
reconnais que cette histoire s’est terminée bizarrement. Je disais donc que je
me suis fait boucler dans une cave toulousaine, un vrai cul-de-basse-fosse, un
trou à rats. Mais vraiment boucler. J’ai eu du mal à forcer la porte. Je me
suis retrouvé dans les rues de la Daurade à dix heures du soir, crade et
affamé. J’ai fort heureusement trouvé un bistro-restau, le genre boui-boui où
je ne craignais pas de me faire refouler. Le truc qui marche à fond sur le plat
du jour à midi et mollo le soir avec quelques habitués. C’est là que je me suis
fait, pour ainsi dire, draguer par la nièce du patron.
-
Et monsieur est tombé raide de la
bistrotière ?
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