Ça y est, monsieur Etienne est
arrivé. En uniforme, s’il vous plaît ! Il paraît qu’il est capitaine. Je
dis cela parce que lui, il veut toujours que je l’appelle Etienne. Sans
monsieur. Il est tellement occupé par tout ça que en deux jours, je n’ai pas pu
lui parler seule. Il vient du monde à la maison et je suis allée faire mon
marché pour bien le recevoir.
Ça y est, j’ai pu lui parler à
monsieur Étienne, je lui ai dit pour la cache de Monsieur Marc dans la commode
et la cache de madame dans la lessiveuse. Il a été bien surpris, pas par la
cache de Madame où il n’y avait que de l’argent mais par celle où monsieur Marc
mettait ses comptes. Il a sifflé doucement en lisant cela. Il m’a un peu
expliqué mais je n’ai pas tout compris. Il m’a dit qu’il y avait des papiers
qui remettaient en cause les reproches faits à ses parents, que monsieur Marc
faisait passer de l’argent et des armes au maquis sous couvert de
collaboration. Et qu’on les avait accusés à tort. Il m’a dit qu’avec ces
papiers il allait pouvoir trouver des preuves et des témoignages. Après qu’il
m’a dit cela, il m’a dit de bien planquer la lessiveuse, que de cela il n’en
n’avait pas besoin maintenant mais qu’il fallait vérifier avec les contacts
qu’il avait. Il m’a fait beaucoup de peine quand il m’a
dit : « Père et Mère sont morts pour rien, ceux qui ont fait
cela ont été injustes. Moi-même, j’étais persuadé que mes parents collaboraient
ou faisaient du marché noir et je n’avais rien compris. »
Les policiers sont revenus, ils font
encore leur enquête pour savoir ce qui s’est passé. Qu’est-ce que je peux leur
dire, moi, j’y étais pas à la maison, je faisais que revenir. Monsieur Etienne,
lui, m’a dit qu’il allait vendre la maison d’Agen et même les propriétés. Il
m’a dit que mes parents pourraient acheter leur métairie, qu’ils seraient chez
eux. Il m’a demandé si je voulais revenir à la campagne. Je lui ai dit
qu’autant je préférais maintenant rester en ville même si je serais contente de
revoir la famille. Alors, il m’a dit une chose que je ne peux pas y croire
encore tout à fait. Il m’a dit que la petite maison de la rue Sentier – une
petite maison que monsieur louait à un couple sans enfants – était devenue
libre. Il m’a dit qu’il me la donnerait, que je me l’étais méritée. De toute
façon, je ne pourrai pas rester dans la grande maison, il ne veut pas la garder.
Et je suis sûre de trouver à m’employer, il y a un restaurant au Pin qui me
prendrait comme servante. Tout ça me chamboule beaucoup et je voudrais aussi
savoir vraiment pourquoi ils ont été assassinés. Mais ça c’est monsieur Étienne
qui le saura un jour. Maintenant qu’il est capitaine, personne n’ose rien dire
devant lui. Mais il va devoir repartir bientôt car tout le pays n’est pas
libéré, ils ont besoin de lui encore.
Monsieur Étienne va repartir dans
deux semaines et nous allons demain chez le notaire. Il paraît qu’il a pris
toutes les instructions pour la maison, il me l’a dit, et pour ses métairies.
Michel et la cuisinière vont aller dans une maison pour les vieux. Michel, le
pauvre, n’a plus toute sa tête avec tous ces évènements, il sera bien je crois
dans une maison comme cela. »
Le
premier cahier se termine ainsi, laissant une bonne vingtaine de pages vierges.
Un autre cahier prend la suite :
« J’ai déménagé et je suis chez
moi, comme une vraie bourgeoise. Ma maison, mon petit jardin et un puits. Et
monsieur Étienne qui m’a nanti de
l’argent à la banque Guilhot. Mais je dois travailler pour vivre et je monte
tous les matins au Pin prendre mon service. Il n’y a pas à se plaindre, le
travail ne manque pas et je sais faire. Les patrons me veulent car ils sont
contents de moi.
J’ai commencé un nouveau cahier,
l’autre c’était une autre vie en quelque sorte. Maintenant tout est différent.
J’aimais bien chez monsieur et madame mais la maison est vendue, même leur
château et les métairies. Je suis montée une fois, sur deux jours par le bus,
voir mes parents et ma sœur et mon frère. Ma sœur va se marier avec un ouvrier
de Bergerac, il travaille à la SNCF. Elle l’a connu par une cousine à mon père.
Cheminot, il parait que ça paie bien avec des avantages et tant mieux pour elle. Mon frère, lui, il
veut rester à la ferme ou trouver une autre métairie. En attendant, il aide
encore le père et il part aussi à la journée pour se faire sa pelote, il dit.
Les parents sont fiers pour moi mais ils aimeraient que je me marie. Je ne sais
pas encore, il ne manquerait pas des hommes qui me voudraient, qu’ils disent
mes parents, mais ils voudraient surtout profiter de mon peu de bien que j’ai
reçu. On verra bien, avec mon petit cahier je ne suis jamais toute seule.
(à suivre...)
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