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jeudi 11 juillet 2019

Appelez-moi Fortunio (22)


Ça y est, monsieur Etienne est arrivé. En uniforme, s’il vous plaît ! Il paraît qu’il est capitaine. Je dis cela parce que lui, il veut toujours que je l’appelle Etienne. Sans monsieur. Il est tellement occupé par tout ça que en deux jours, je n’ai pas pu lui parler seule. Il vient du monde à la maison et je suis allée faire mon marché pour bien le recevoir.
Ça y est, j’ai pu lui parler à monsieur Étienne, je lui ai dit pour la cache de Monsieur Marc dans la commode et la cache de madame dans la lessiveuse. Il a été bien surpris, pas par la cache de Madame où il n’y avait que de l’argent mais par celle où monsieur Marc mettait ses comptes. Il a sifflé doucement en lisant cela. Il m’a un peu expliqué mais je n’ai pas tout compris. Il m’a dit qu’il y avait des papiers qui remettaient en cause les reproches faits à ses parents, que monsieur Marc faisait passer de l’argent et des armes au maquis sous couvert de collaboration. Et qu’on les avait accusés à tort. Il m’a dit qu’avec ces papiers il allait pouvoir trouver des preuves et des témoignages. Après qu’il m’a dit cela, il m’a dit de bien planquer la lessiveuse, que de cela il n’en n’avait pas besoin maintenant mais qu’il fallait vérifier avec les contacts qu’il avait. Il m’a fait beaucoup de peine quand il m’a dit : « Père et Mère sont morts pour rien, ceux qui ont fait cela ont été injustes. Moi-même, j’étais persuadé que mes parents collaboraient ou faisaient du marché noir et je n’avais rien compris. »
Les policiers sont revenus, ils font encore leur enquête pour savoir ce qui s’est passé. Qu’est-ce que je peux leur dire, moi, j’y étais pas à la maison, je faisais que revenir. Monsieur Etienne, lui, m’a dit qu’il allait vendre la maison d’Agen et même les propriétés. Il m’a dit que mes parents pourraient acheter leur métairie, qu’ils seraient chez eux. Il m’a demandé si je voulais revenir à la campagne. Je lui ai dit qu’autant je préférais maintenant rester en ville même si je serais contente de revoir la famille. Alors, il m’a dit une chose que je ne peux pas y croire encore tout à fait. Il m’a dit que la petite maison de la rue Sentier – une petite maison que monsieur louait à un couple sans enfants – était devenue libre. Il m’a dit qu’il me la donnerait, que je me l’étais méritée. De toute façon, je ne pourrai pas rester dans la grande maison, il ne veut pas la garder. Et je suis sûre de trouver à m’employer, il y a un restaurant au Pin qui me prendrait comme servante. Tout ça me chamboule beaucoup et je voudrais aussi savoir vraiment pourquoi ils ont été assassinés. Mais ça c’est monsieur Étienne qui le saura un jour. Maintenant qu’il est capitaine, personne n’ose rien dire devant lui. Mais il va devoir repartir bientôt car tout le pays n’est pas libéré, ils ont besoin de lui encore.
Monsieur Étienne va repartir dans deux semaines et nous allons demain chez le notaire. Il paraît qu’il a pris toutes les instructions pour la maison, il me l’a dit, et pour ses métairies. Michel et la cuisinière vont aller dans une maison pour les vieux. Michel, le pauvre, n’a plus toute sa tête avec tous ces évènements, il sera bien je crois dans une maison comme cela. »
Le premier cahier se termine ainsi, laissant une bonne vingtaine de pages vierges. Un autre cahier prend la suite :
« J’ai déménagé et je suis chez moi, comme une vraie bourgeoise. Ma maison, mon petit jardin et un puits. Et monsieur Étienne  qui m’a nanti de l’argent à la banque Guilhot. Mais je dois travailler pour vivre et je monte tous les matins au Pin prendre mon service. Il n’y a pas à se plaindre, le travail ne manque pas et je sais faire. Les patrons me veulent car ils sont contents de moi.
J’ai commencé un nouveau cahier, l’autre c’était une autre vie en quelque sorte. Maintenant tout est différent. J’aimais bien chez monsieur et madame mais la maison est vendue, même leur château et les métairies. Je suis montée une fois, sur deux jours par le bus, voir mes parents et ma sœur et mon frère. Ma sœur va se marier avec un ouvrier de Bergerac, il travaille à la SNCF. Elle l’a connu par une cousine à mon père. Cheminot, il parait que ça paie bien avec des avantages  et tant mieux pour elle. Mon frère, lui, il veut rester à la ferme ou trouver une autre métairie. En attendant, il aide encore le père et il part aussi à la journée pour se faire sa pelote, il dit. Les parents sont fiers pour moi mais ils aimeraient que je me marie. Je ne sais pas encore, il ne manquerait pas des hommes qui me voudraient, qu’ils disent mes parents, mais ils voudraient surtout profiter de mon peu de bien que j’ai reçu. On verra bien, avec mon petit cahier je ne suis jamais toute seule.
(à suivre...)

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