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jeudi 18 juillet 2019

Appelez-moi Fortunio (23)


Je n’ai pas bien des nouvelles de monsieur mais on entend bien dire que la guerre n’est pas encore finie, on a même eu peur cet hiver que les allemands seraient revenus sur les Ardennes mais les américains sont costauds quand même et nos soldats aussi. L’autre jour, les policiers sont encore venus, ils m’ont posé des questions, ils voulaient savoir ce que j’avais vu mais comme je l’ai dit, je n’étais pas là, je suis arrivé que les maquisards s’enfuyaient.
Quand même, j’ai repensé à cette histoire mais pour en parler à la police, j’aimerais pas trop. J’aimerais parler avec monsieur Étienne, lui il saurait ce qu’il faut faire, et ne pas dire peut-être. J’ai bien vu le chauffeur de la voiture, je ne connais pas son nom mais si j’en parlais avec lui, il saurait me dire. Je lui en parlerai à lui.
On dit que les alliés sont dans presque toute l’Allemagne et que bientôt la guerre sera finie. Il y a encore les japonais qui donnent du mal aux américains, comme quoi plus il en tombe, plus il en revient. La guerre ne finira donc jamais.
Ça m’a drôlement secouée. Nous, les femmes, on est allées voter pour les élections municipales. Je ne savais pas trop pour qui voter, je suis allée avec des voisins au bureau de vote de la rue Scaliger et en entrant j’ai cru que j’allais me trouver mal. Au bureau il y avait cet homme qui conduisait la voiture quand monsieur et madame ont été tués. J’ai réussi à me tenir, j’ai pris mes papiers et j’ai voté, vite, en tournant la tête, je ne crois pas qu’il m’a reconnue. Les voisins m’ont demandé si j’allais bien, j’ai dit que j’avais un peu mal au ventre et je suis rentrée aussi vite que possible. Il me tarde le retour de monsieur Étienne.
Le facteur est passé, il y avait une lettre de la tante de monsieur Étienne. Le pauvre homme, il est mort courageusement au combat, il y a trois mois. Mais le temps que ses derniers parents le sachent et le temps qu’ils pensent à m’écrire, je ne suis au courant que maintenant. Moi je crois qu’il sentait que cela allait lui arriver, pour avoir si vite voulu régler toutes ses affaires. Je resterai avec mon lourd secret car je n’ai personne à qui parler, il n’y a que mon cahier.
Il y avait un second tour pour les élections et je n’ai pas osé aller voter, de peur de le revoir. Je suis restée toute la journée dans la maison sans sortir pour pas qu’on me demande si j’y étais allée. Quand on est seule à savoir un secret, c’est lourd à porter comme on dit. Heureusement, demain je reprends mon travail, je penserai à autre chose.
Peut-être que je vais repartir à la campagne, j’ai toujours peur de le revoir. Je crois qu’il a été élu à quelque poste de la commune mais je ne sais pas son nom, même pas son petit nom. Je ne connais que sa tête. Imagine qu’il vienne un jour au restaurant, que tu doives le servir. Et il te connaîtra sûrement puisqu’il venait parfois à la maison. Je ne sais pas s’il m’a vue quand ils sont partis en voiture mais même sans ça, si jamais il me parle je vais tomber mal. J’ai toujours peur, ils ont tué une fois déjà, on n’est plus en guerre mais qui sait ?
Le journal continue mais « il » n’est plus cité, Juliette Bertinier raconte sa vie dans sa maison, son travail au restaurant. Elle vit toujours seule, elle parle de temps à autre de son chat, un peu de l’actualité car elle s’est abonnée au Petit Bleu, le journal local.
« Sur le journal, j’ai lu qu’ils ont décoré des maquisards, ils disent des résistants. Je n’en mettrais pas ma main à couper mais sur la photo, je crois qu’il y était. Soi-disant qu’il aurait été résistant, le chauffeur de l’auto. Je n’y comprends rien. Il paraît que des gens importants sont venus de Paris pour la cérémonie. Je croyais que je l’avais oublié mais ça me reprend, cette peur.
Un monsieur très bien, une sorte de professeur, est venu me voir. Il m’a dit que c’était la tante de monsieur Étienne qui lui avait donné mon adresse. Il voulait que je lui raconte l’histoire quand monsieur et madame sont été tués. Je lui ai dit, savès, que je ne sais grand-chose. Et je lui ai donné l’adresse de Michel, qu’il aille le voir lui et la cuisinière et qu’ils en savent plus que moi. Je m’embrouille un peu dans tout cela et il est venu que j’avais du travail, j’allais partir pour prendre mon service.
(à suivre...)

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