Nos
lecteurs auraient aimé en savoir plus mais il semble que bien du temps soit
passé jusqu’à la reprise de la rédaction du cahier. En effet, cette fois il y a
une date, celle du 30 juin 1944 :
J’ai encore la main qui tremble mais
cela me fera le plus grand bien d’écrire. J’ai la tête tellement tourneboulée
que j’ai besoin de parler à mon cahier. Mais je le cacherai le mieux possible.
Le pauvre monsieur Marc m’avait montré une cache dans la commode de la
lingerie, une cache spéciale pour mettre le grand livre. J’ajouterai mon cahier.
N’importe que je ne pourrai pas le prendre tous les jours car je crois qu’on ne
m’en laissera guère le temps, avec tout ce qui se passe. Hier au matin,
mercredi, je suis allée au marché aux légumes. Je n’avais guère acheté, les
gens sont nerveux et il manque des vendeurs. Je revenais en passant par la rue
de derrière, j’entends crier vers la maison. Quelqu’un qui appelle monsieur
Marc depuis dehors. Puis, j’entends la voix de Madame qui appelle, elle a une
voix pas comme d’habitude et monsieur Marc répond qu’il arrive. Je n’ai pas eu
le temps d’arriver qu’une fusillade éclate, tac a tac tac. Un bruit que je n’oublierai
jamais. Il y a eu des cris, des portières qui claquent, une voiture a démarré
comme une flèche. Et moi qui arrivais avec le panier des courses, je ne pouvais
rien faire. Les tueurs ne m’ont pas vue mais moi, le chauffeur je l’ai reconnu.
Quelqu’un qui était déjà venu à la maison mais avant qu’il y ait la guerre. Je
crois que c’était un ami de monsieur Etienne. Enfin, raï ça, monsieur et madame
étaient là, par terre dans l’entrée, sous le porche. Ces brutes avaient fait
leur coup, ils étaient morts tous les deux. Les voisins sont arrivés, Michel
aussi, les hommes les ont portés jusqu’à la chambre, tout le monde était
choqué. J’ai bien entendu quelque ragot par-là mais je ne pouvais pas en faire
cas. Les policiers sont venus, ils ont posé des questions et puis ils ont dit
de pas les laisser traîner avec la chaleur qu’il faisait. On aurait dit qu’ils
s’en foutaient, deux morts de plus, deux morts de moins. Mais tout de même,
c’était des bourgeois, pas des petits je dirais. Donc on a fait le nécessaire
pour trouver des cercueils et faire ouvrir le caveau. Quand ils ont été
enterrés, j’étais soulagée mais il me restait ces images, tous les deux, là par
terre, le sang sur les pavés et moi, là, avec quelques voisins, Michel comme
fou, le pauvre, monsieur et madame, c’était toute sa vie.
Quelques jours ont passé et
maintenant on en voit du monde, un monsieur de la préfecture, des allemands,
des miliciens et encore des policiers et même un juge. Ils ont fouillé la
maison mais ils n’ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient, je suppose. Moi, j’ai
fait ma couillounette comme quoi je ne savais rien du tout. Ils ont un peu
essayé avec Michel mais lui aussi il a rien pu dire, d’ailleurs je ne sais pas
ce qu’il sait de tout cela.
Hier, 19 août, nous sommes été
libérés, ce sont des français F.F.I. qui sont arrivés. Ça chante et ça crie de
partout. Avec Michel, on a tout tenu fermé, on ne sait pas où sont les bons et
où sont les méchants, il vaut mieux attendre. On aimerait bien que monsieur
Étienne donne des nouvelles mais on sait rien, je n’ose pas sortir pour les
courses. On a de quoi tenir dans la
maison d’autant que la petite Simone elle a disparu le jour de la fusillade.
Elle a eu certainement peur mais personne ne sait ce qu’elle est devenue. On va
encore manger des haricots secs mais on a quand même encore du jambon sec et du
saucisson. Il me tarde de pouvoir aller acheter du frais au marché. Parce qu’on
n’a pas de légumes frais mais je sais où il y a de l’argent. Je connaissais la
cache secrète de Madame Thérèse, la très très secrète cache. Dans la vieille
lessiveuse, sous quelques seaux de cendre. Elle m’avait dit pour si, par cas,
on manquerait de quoi payer. J’avais promis de rien dire à personne mais
maintenant qu’elle n’est plus là, je parlerai à monsieur Etienne. Il y a beaucoup
de sous là-dedans, de toutes sortes.
Mon petit cahier, je dois bien te
cacher car si on savait on pourrait bien me faire du mal pour me faire parler.
Personne doit savoir sauf monsieur Etienne.
(à suivre...)
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