3. Dans la ria
Le lendemain est un jeudi. Après le petit déjeuner, il regarde encore avec soin le portrait et est surpris de l’ambiguïté du regard de la jeune fille, à la fois naïf et complice, empreint d’une tristesse infinie et d’une plénitude radieuse. Étrange petite peinture, plus encore que le paysage, bien plus.
Il décroche le tableau et le range dans une valise car il veut éviter d’éveiller à nouveau la curiosité d’Édith.
Le temps est gris mais sans promesse de pluie, il s’habille en marcheur, part prendre le bus en direction de Cancale et descend à mi-chemin, à La Brémarde. Dans un bourg, il s’achète deux beaux sandwiches ainsi qu’une bouteille d’eau et il s’engage sur le sentier des douaniers.
Ce sentier est magique en toutes saisons, mais il est féerique en hiver lorsque la brume pose ses flocons géants ça et là. La marée est montante et il se sent ivre de cette beauté subtile. Le chemin suit un haut de falaise, puis brutalement descend vers une petite crique qui se prolonge en une sorte de ria profonde. Il marche sur le sable d’une étroite bande de plage qui borde cet aber, puis, après plus de sept ou huit-cents mètres, cette bande de sable se transforme en un magma boueux sur lequel sont mollement couchées quelques barques tenues par de longs filins eux-mêmes attachés aux arbres poussant sur le haut talus qui surplombe cette ligne boueuse. Il voit bien que la vallée se rétrécit et que les eaux montent, mais il ne peut que continuer en espérant trouver un passage, une rampe qui lui permettra de monter sur le talus.
Ses chaussures deviennent lourdes de cette gadoue collante et il a de plus en plus de mal à avancer alors que la marée envahit rapidement les lieux, faisant frissonner les petites barques au bout de leurs amarres. Il hésite un moment à monter dans une de ces embarcations, mais non, c’est stupide, il trouvera une issue.
La marée continue à monter assez vite et il progresse de plus en plus difficilement, l’intérieur de ses chaussures est gorgé d’eau salée et le bas de son pantalon est détrempé. Il prend un filin et tente d’escalader le talus en s’aidant de celui-ci. Mais le talus est raide et sableux, le terrain se dérobe sous ses pieds, il lâche prise. Et l’eau monte encore.
« Non, pas moi, cela ne peut pas m’arriver à moi » se dit-il. Il avance encore, les pieds gluants, le pantalon dont le bas mouillé pèse sur la ceinture en entravant sa marche. Malgré le niveau qui monte, il s’arrête pour relever les jambes de son pantalon et les coincer au-dessus du genou. Il repart, progressant difficilement, l’eau atteint ses genoux, il se trouve au bord du talus qui s’avance en pointe, sans marchepied en bordure. Il a de l’eau à mi-cuisses et, au détour du talus, il découvre un petit sentier qui mène vers le haut, vers les arbres. Il a du mal à se mouvoir, pataugeant dans la boue, repoussant l’eau avec le haut de ses jambes mais il donne tout ce qu’il lui reste de forces pour se porter vers cette sente escarpée qui lui permettra de se mettre à l’abri des flots.
Enfin, il est sur le sable de cette petite rampe, il se laisse choir à quatre pattes et avance encore un peu. Il est sur la terre ferme, haletant. Il passe une main sableuse sur son front et il lui semble que l’eau, le sel et le sable se sont infiltrés jusqu’à la moelle de ses os. Doucement, il monte et finit par se retrouver sur le haut du talus, où il s’assied, le dos appuyé contre un arbre et reprend son souffle. Il regarde la mer qui continue à envahir la ria. Il s’est fait avoir comme un bleu, il sait qu’il y a bien des endroits où le rivage est si plat que la marée monte très rapidement. On ne l’y reprendra plus.
(à suivre...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire