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jeudi 29 juillet 2021

Dernier tableau (36)

Il dégage doucement son sac à dos et prend sa bouteille d’eau dont il avale goulûment une forte rasade. Il se relève, reprend son sac et regarde le sentier qui suit le haut du talus, sillonnant entre les arbres puis s’enfonçant dans un taillis épais. Il avance dans ces fourrés en supposant qu’il retrouvera le chemin qui contourne l’aber. Mais le chemin suit en réalité un petit cours d’eau, cette rivière à l’origine de la ria. Il faut donc le suivre, inutile de chercher à franchir la rivière car il n’y a pas de chemin de l’autre côté.

Il remonte donc la rivière, toujours encaissée. Le chemin est de plus en plus étroit et envahi par les taillis, les branches lui griffent le visage mais il avance, car il ne veut pas s’arrêter et prendre froid avec ses habits mouillés.

La vallée s’élargit un peu. Il débouche sur un chemin un peu plus dégagé, il hésite entre prendre à gauche ou à droite, et choisit de partir à droite. Il continue ainsi sur près d’un kilomètre et se trouve brusquement en un lieu familier. Une de ces impressions comme celle d’être déjà venu, ou d’avoir déjà vécu… Il comprend : il se trouve à l’endroit, presque l’endroit exact où Artur Leyden a peint son paysage, oui son paysage à lui, Hervé. Le temps a passé, les arbres ont poussé, la chaumière s’est délabrée mais tout y est, oui tout y est, la maison, mais aussi la mare, le petit étang. Et les couleurs si bien rendues par Leyden.

Hervé reste quelques minutes immobile, il n’en revient pas. Seul un hasard improbable l’a amené ici. Il s’avance doucement sur le chemin sinueux, il lui semble presque être en pays connu. Il s’approche de la maison, certains volets, fermés, sont disjoints. D’autres sont en pantenne. Il jette un regard par une fenêtre, il n’y a pas grand-chose à voir, les carreaux sont crasseux. Il distingue toutefois une grande cheminée et une table avec des chaises. Un petit hangar est accolé à la maison abritant d’antiques machines et une mobylette bleue avec des sacoches en cuir toutes écornées.

Il se rapproche du petit étang dont l’eau est sombre au milieu et verdâtre sur les bords, signe probable de l’eutrophisation due aux feuilles des grands arbres qui entourent cette mare.

En plus de cinquante années, le lieu a bien peu changé malgré l’abandon dans lequel il a été laissé.

Il regarde l’heure, il est onze heures et demi, il aimerait bien revenir vers une route. Il contourne la petite maison et trouve un sentier empierré qui part vers le sud. Le chemin a dû, lui aussi, connaître des jours meilleurs et voir passer des véhicules, mais aujourd’hui les branches en ont resserré le passage et les herbes folles l’ont envahi. Mais un piéton peut encore y circuler sans trop de difficulté. Il part donc sur ce chemin qui sinue en montant à travers bois et broussailles.

Au bout d’une bonne demi-heure de marche, il se retrouve sur un plateau cultivé, à gauche un champ de choux-fleurs et à droite une parcelle labourée. Le chemin est maintenant dégagé et sert de passage d’exploitation. Il pense qu’il va bien finir par aboutir sur une route.

En effet, il arrive sur une petite voie goudronnée. Il sort sa carte, mais a bien du mal à se repérer. Il décide de s’asseoir sur un bord de talus et d’attaquer son casse-croûte. Il a faim maintenant et ses deux sandwiches sont bien vite avalés. Il hésite toujours sur la direction à prendre, il ne veut pas retourner vers le bord de mer, trop loin de la circulation des bus. Il est tout à sa réflexion lorsqu’il voit arriver un tracteur conduit par un paysan âgé qui roule doucement en montant la côte. Il se lève et lui fait signe, le paysan s’arrête, laissant tourner son moteur au ralenti.

 

– Excusez-moi, je suis perdu, je voudrais retrouver la direction de Saint-Lambaire, dit Hervé en criant par-dessus le bruit du moteur.

– Oh, si vous êtes perdu, alors attendez, laissez-moi faire, dit le paysan qui passe une vitesse et manœuvre pour faire demi-tour. Il met son tracteur dans la pente et l’arrête.

– Là, voyez, ça sera plus facile pour se parler, dit le paysan. Vous avez pas l’habitude et moi, je suis un peu sourd. Mais je suis pas sûr de pouvoir démarrer, alors faut que j’me mette dans le sens de la pente. Alors, qu’est-ce qui vous arrive ? Vous êtes perdu que vous dites ? Pour la route de Saint-Lambaire, c’est à deux ou trois kilomètres. Y’a bien un raccourci à pied, mais celui qui connaît pas, il est bon pour se perdre, allez-y par la route. Et puis, si c’est le bus que vous voulez, y’a un arrêt pas loin de l’embranchement. J’vais vous proposer une chose : vous montez derrière dans la bennette, je vais vous avancer d’un bon kilomètre. Ah c’est pas le grand confort mais à quinze à l’heure, ça vous avancera sans peine et j’vous montrerai, vous aurez qu’à aller tout droit après que je vous aurai déposé et vous arriverez sur la bonne route. Qu’est-ce vous en pensez ?

– Alors là, merci beaucoup, vous me faites bien plaisir, monsieur, je suis assez fatigué…

– Ne m’appelez pas monsieur, moi c’est Eugène, je préfère.

(à suivre...)

 

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