-
Alors, j’attends la suite, monsieur le pédégé
des maisons de Fortunio, reprend-elle.
-
Oui, bon, je suis allé incognito dans la petite
salle « Varia » et je voudrais revoir les petits tableaux. Il y en a
deux qui me font penser à un Nicolas de Staël…
-
Mmmh, flatteur, coupe-t-elle.
-
Et un autre, comment dire ? Tout en noir,
comme une eau-forte, on dirait une vignette de la bibliothèque rose, une fille
qui s’encourt on ne sait où, très stylisée…
-
Ah, la fille qui n’avait plus de nom ! Vous
connaissez l’histoire ?
-
Non, pas du tout. Je reconnais que je comprends
mieux le figuratif, même s’il est seulement évocateur … mais ne perdez pas
votre temps avec moi, je n’y connais rien.
-
Vous avez raison, je me dois à mes invités. Nous
poursuivrons cette discussion plus tard. Eve, surveille-le et ne le laisse pas
s’échapper. Je compte sur vous après le vernissage, on ira à quelques-uns finir
la soirée au restau, soyez des nôtres…
-
C’est très gentil de votre part mais…
-
Pas de mais, les maisons de Fortunio, je te
tiens à l’œil : n’entre pas ici qui veut mais n’en sort pas non plus qui
veut, déclare Eve QdC.
-
Lasciate ogni speranza Voï ch’entrate, …
-
Exactement ! Tu dis n’y connaître rien en
peinture mais tu connais la littérature italienne. Si tu veux, retourne dans la
petite salle mais ne t’avise pas de filer à l’anglaise.
C’est marrant comme les choses vont, me dis-je en revenant dans la petite
salle. Je suis encore attiré par le tableau à la jeune fille. Echevelée, le
buste en avant, elle semble autant poursuivie que poursuivante, une sorte
d’Ahasverus jeune fille. En effet, il y a un petit carton qui indique le titre
du tableau : « La fille
qui n’avait plus de nom ». J’ai vraiment une attirance pour ce
tableau, enfin je dirais plutôt que ce tableau exerce une attraction sur moi.
Néanmoins, je ne me laisse pas monopoliser par cela et je reviens vers
les autres salles. Maintenant que les choses sont un peu plus calmes, j’arrive
à un peu plus de réceptivité envers cette peinture mais tout de même. Un
plateau passe et je chope quelques petits fours dans une main et une coupe de
champ’ de l’autre. Un gugusse barbu et chevelu a l’air de parler tout seul
quand il m’interpelle. Je ne comprends rien à ce qu’il me raconte, il est
encore plus abscons que l’autre Dutritel mais il m’a pris comme interlocuteur
et m’apprécie d’autant plus que, bouche pleine, je ne peux guère le contredire.
Un autre gonzier s’introduit dans notre monologue et me prend à témoin de la
controverse artistique qui est en train de naître entre eux. Je me contente de
glisser de temps à autre : « Oh, vous pensez ? » ou quelque
« C’est étonnant » pour relancer la conversation si toutefois cela
était nécessaire. Une belle gonzesse, bizarrement habillée en hyper chic rouge
et vert et étonnamment maquillée dans les mêmes tons vient se mêler à la
conversation. Elle me saisit le coude gauche et me demande ce que je pense de
cet ensemble. Comme sa question est extrêmement impérative, je sors une réponse
tout ce qu’il y a de phatique :
-
C’est incroyable ! Le temps s’arrête !
-
Oui, oui, c’est cela même, répond-elle, Martine
prend bien des libertés avec les phénomènes de tension. Vous êtes peintre vous
aussi ? Je le parierais…
-
Nullement, je suis à peine un amateur…
-
Artiste en tout cas, vous avez le don de résumer
les choses en si peu de mots…
(à suivre...)
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