-
Non, qu’est-ce qu’on dit ? me dit-elle en m’essuyant
la joue avec un mouchoir en papier.
-
En patois, oun estélo c’est une étoile et donc
on dit : Estélo, ah oh, avec une queue au cul, elle ferait une poulit
cométo…[1]
-
Petit cochon, va, vous ne pensez qu’à ça vous,
les mecs…
Elle s’en va et j’en profite pour aborder Robico qui passe à mes côtés.
-
Excusez-moi, ce n’est pas vous qui avez vendu
une béhème break blanche ?
-
Pardon, on se connaît ? demande le Robico.
-
Vous aviez bien un break BMW blanc, non ?
Il me dévisage et tourne sèchement les talons. Il se dirige vers la sortie.
Avant de quitter la salle, il me balance un dernier coup d’œil. Je rigole
intérieurement mais mon hilarité est de courte durée car je sens une main qui
se glisse sur mon cou, la main d’Estelle bien sûr, débarrassée de son cicérone.
Nous sommes à côté de la porte des toilettes et elle profite d’un mouvement de
foule pour me pousser vers les gogues. Il faut dire que c’est pas des chiottes
pour pauvres, c’est du cagoinsse de luxe, carrelage et miroirs partout, poignées
dorées et lumières tamisées. Cette fois-ci, pas question de se dérober, nous
nous ranimons mutuellement avec un bouche à bouche de qualité thérapeutique.
-
Chez les handicapés, dit-elle, c’est toujours
plus propre et il y a plus de place…
La porte se referme sur nous et je ressors un bon quart d’heure plus tard,
les jambes flageolantes avec ordre de sortir le premier, discrètement si
possible. J’arrive à me faufiler dans un groupe où pérore un grand escogriffe à
la crinière aile de corbeau, puis de fil en aiguille je tombe sur un petit
monsieur rondouillard qui m’apostrophe :
-
Ne seriez-vous pas ce monsieur qui ne connaît
pas l’histoire de la fille qui n’avait plus de nom ?
-
Je suis en effet un monsieur qui ne connait pas
l’histoire de la fille qui n’avait pas de nom, comment savez-vous…
-
C’est Martine qui me l’a dit. Attention, c’est
la fille qui n’avait plus de nom et pas celle qui n’avait pas de nom.
Venez, allons dans la petite salle, je vais vous raconter cette histoire, c’est
moi qui l’ai racontée à Martine et qui lui ai, de par ce fait, inspiré ce
tableau que vous avez vu. Je lui avais demandé une illustration pour cette
histoire, ce qu’elle a fait, mais de plus elle a réalisé ce tableau qui est
exposé ici. Ce qui est dommage, c’est qu’il fait un peu figure d’intrus, il est
assez décalé en regard des autres tableaux exposés. Mais qu’importe, je vais
vous raconter cette histoire car j’ai bien l’impression qu’elle vous plaira,
déclare-t-il péremptoirement.
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