Auditrices
et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Il n’y a pas que la ponctuation qui
souffre, il y a aussi les tortures infligées aux mots ; en effet, il
suffit d’écouter les présentateurs de radio ou de télévision pour le constater.
Je prendrai pour premier exemple le mot périple qui, au départ et par
étymologie, signifie circumnavigation et qui est couramment utilisé pour parler
de voyages terrestres. Même d’éminents lexicologues tolèrent cette acception,
il faut bien vendre du dictionnaire que diable ! Le mot
« télévision » est déjà un barbarisme puisque composé d’une tête
grecque et d’une queue latine et ceci prouve que ce média était condamné
à la médiocrité dès le départ mais je m’en voudrais de fustiger les seuls
audiovisuels alors que les scribouillards ne sont pas en reste envers leurs
collègues babillards. La presse de province, en particulier dans ses pages
sportives, est une mine d’utilisations abusives de notre malheureux lexique.
Je
vous propose donc un mot en ce jour de repos et ce mot est : mogigraphie.
Je n’ai pas dit : mogilialisme, non, cela est bien différent car il s’agit
une manière élégante de nommer le bégaiement. Je ne vais pas proposer une pinte
de bière tiède au premier ou à la première qui aura trouvé la signification de
ce mot car il n’est pas simple de faire parvenir ce genre de lot par la poste.
La mogigraphie est, en réalité, la crampe de l’écrivain et vous aurez compris
que c’est ce qui m’affecte, d’autant plus que ce genre de crampe pourrait
atteindre le cerveau. Etre trahi par son poignet est une chose, avoir sa pensée
au bord du claquage en est une autre.
Ne
pouvant soulager mes maux dans les brumes septentrionales, j’ai consulté le bon
docteur V. (ce dernier tient à rester anonyme) qui soigne par les plantes. En
effet, il soigne les malades par les plantes des pieds ; c'est-à-dire
qu’il introduit dans les chaussettes du patient un fin broyat dynamisé selon
une méthode analogue à celle du Dr Hahnemann, inventeur de l’homéopathie. Le traitement
qui m’a été administré par le bon docteur V. fut un traitement expérimental. En
effet, le traitement de la mogigraphie n’avait jamais été tenté par cette
méthode, cela pour la bonne raison que le bon docteur V. est diplômé de l’Ecole
vétérinaire et que l’on connaît fort peu d’animaux souffrant de mogigraphie. Mais
je dirai que l’essai fut concluant. Le bon docteur a donc garni l’intérieur de
mes chaussettes avec de la plume d’oie en poudre mélangée à de la seiche
broyée. Le postulat de départ étant que « similia similibus
curentur », il fallait traiter le mal de l’écriture par ce qui permet
l’écriture. Or, si l’écriture a beaucoup évolué depuis le stylobille jusqu’à
l’imprimante multifonctions, il n’en reste pas moins qu’elle s’est longtemps
pratiquée avec une plume d’oie finement taillée. Un traitement à la plume d’oie
ne peut qu’affiner et rendre plus légère une écriture parfois un peu lourde par
exemple. Pour ce qui est du broyat de seiche, nous n’ignorons pas que cet
animal, joliment appelé chipiron par les basques, est l’inventeur de l’encre.
Donc, suite à une seule application de douze heures dans des chaussettes de
qualité, je me suis vu reprendre mon activité écrivante sans douleur ni
difficulté. A la fin de la journée, j’ai retiré un mulching honorable du
fond de mes chaussettes et je l’ai ajouté sur mon tas de compost. Certains
pourraient penser que cela peut se fumer mais j’ai abandonné la pratique du
tabac depuis quelque temps et plutôt que de pétuner, je préfère maintenant
fumer mon potager.
Cela
dit, je m’en tiens à l’écriture au clavier mais je ne dédaignerais pas de
tenter l’écriture à la plume d’oie. J’attendrai le retour des oies sauvages
pour ne pas déplumer les gardiennes du Capitole et la migration des chipirons
hors du port de Ciboure pour ne pas dégarnir la carte des restaurants locaux
On
voit par là qu’il faut du poignet pour sauver les mots.
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