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dimanche 20 novembre 2016

Chronique de Serres et d’ailleurs II (9)

Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Il n’y a pas que la ponctuation qui souffre, il y a aussi les tortures infligées aux mots ; en effet, il suffit d’écouter les présentateurs de radio ou de télévision pour le constater. Je prendrai pour premier exemple le mot périple qui, au départ et par étymologie, signifie circumnavigation et qui est couramment utilisé pour parler de voyages terrestres. Même d’éminents lexicologues tolèrent cette acception, il faut bien vendre du dictionnaire que diable ! Le mot « télévision » est déjà un barbarisme puisque composé d’une tête grecque et d’une queue latine et ceci prouve que ce média était condamné à la médiocrité dès le départ mais je m’en voudrais de fustiger les seuls audiovisuels alors que les scribouillards ne sont pas en reste envers leurs collègues babillards. La presse de province, en particulier dans ses pages sportives, est une mine d’utilisations abusives de notre malheureux lexique.
Je vous propose donc un mot en ce jour de repos et ce mot est : mogigraphie. Je n’ai pas dit : mogilialisme, non, cela est bien différent car il s’agit une manière élégante de nommer le bégaiement. Je ne vais pas proposer une pinte de bière tiède au premier ou à la première qui aura trouvé la signification de ce mot car il n’est pas simple de faire parvenir ce genre de lot par la poste. La mogigraphie est, en réalité, la crampe de l’écrivain et vous aurez compris que c’est ce qui m’affecte, d’autant plus que ce genre de crampe pourrait atteindre le cerveau. Etre trahi par son poignet est une chose, avoir sa pensée au bord du claquage en est une autre.
Ne pouvant soulager mes maux dans les brumes septentrionales, j’ai consulté le bon docteur V. (ce dernier tient à rester anonyme) qui soigne par les plantes. En effet, il soigne les malades par les plantes des pieds ; c'est-à-dire qu’il introduit dans les chaussettes du patient un fin broyat dynamisé selon une méthode analogue à celle du Dr Hahnemann, inventeur de l’homéopathie. Le traitement qui m’a été administré par le bon docteur V. fut un traitement expérimental. En effet, le traitement de la mogigraphie n’avait jamais été tenté par cette méthode, cela pour la bonne raison que le bon docteur V. est diplômé de l’Ecole vétérinaire et que l’on connaît fort peu d’animaux souffrant de mogigraphie. Mais je dirai que l’essai fut concluant. Le bon docteur a donc garni l’intérieur de mes chaussettes avec de la plume d’oie en poudre mélangée à de la seiche broyée. Le postulat de départ étant que « similia similibus curentur », il fallait traiter le mal de l’écriture par ce qui permet l’écriture. Or, si l’écriture a beaucoup évolué depuis le stylobille jusqu’à l’imprimante multifonctions, il n’en reste pas moins qu’elle s’est longtemps pratiquée avec une plume d’oie finement taillée. Un traitement à la plume d’oie ne peut qu’affiner et rendre plus légère une écriture parfois un peu lourde par exemple. Pour ce qui est du broyat de seiche, nous n’ignorons pas que cet animal, joliment appelé chipiron par les basques, est l’inventeur de l’encre. Donc, suite à une seule application de douze heures dans des chaussettes de qualité, je me suis vu reprendre mon activité écrivante sans douleur ni difficulté. A la fin de la journée, j’ai retiré un mulching honorable du fond de mes chaussettes et je l’ai ajouté sur mon tas de compost. Certains pourraient penser que cela peut se fumer mais j’ai abandonné la pratique du tabac depuis quelque temps et plutôt que de pétuner, je préfère maintenant fumer mon potager.
Cela dit, je m’en tiens à l’écriture au clavier mais je ne dédaignerais pas de tenter l’écriture à la plume d’oie. J’attendrai le retour des oies sauvages pour ne pas déplumer les gardiennes du Capitole et la migration des chipirons hors du port de Ciboure pour ne pas dégarnir la carte des restaurants locaux
On voit par là qu’il faut du poignet pour sauver les mots.

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