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jeudi 8 août 2019

Appelez-moi Fortunio (26)


-          Ça se termine un peu en queue de poisson, son histoire, déclara Charles. Mais on peut quand même supposer que les mauvais ont fini par payer.
-          Ouais, t’as peut-être raison, répondit René. Mais c’était une drôle d’époque avec de vrais et de faux résistants, des collabos sans le vouloir et des pétainistes acharnés. Sans oublier un proc’ qui baisse son froc devant un notable grande gueule.
-          T’en sais des choses, toi. T’as aussi lu ça dans science et vie junior ?
-          Meuh non, sot ! Y’a pas besoin de ça pouvoir le savoir…
-          Allons, Charles-attend et René-la-Science, on redémarre ! Déclare Albert. On a déjà perdu assez de temps, on n’est pas d’ici nous autres et surtout toi, René !
-          Mooosssieur René-la-Science ! Te voilà habillé pour l’hiver mon poteau, ça te va comme un gant, reprend Charles.
-          D’accord, moi René-la-Science et toi Charlatan. Il ne reste plus qu’à donner un petit nom à notre maître-maçon, Albébert l’homme-pressé ! Cela dit, on met toute cette littérature de côté, je trouve ça génial quelqu’un qui a su régulièrement relater sa vie. Et nous qui sommes les dépositaires, nous nous devons de protéger ce petit trésor.
Ils mirent les cahiers dans une grande enveloppe et dans la cabine du fourgon, après quoi ils reprirent leur activité de déménageurs. Le soir, Charles repartit chez lui alors que René et Albert faisaient la route vers chez René pour décharger le fourgon. Ils arrivèrent vers vingt-deux heures, le temps de décharger il était minuit. Pendant que René improvisait un spaghetti-beurre-oignons frits et lardons fumés, Albert installait deux grabats à même le sol.
Avec 500 grammes de pâtes, un coulant baraqué et un quignon de pain, la conversation aurait peut-être langui mais avec trois bouteilles de Chambolle-Musigny récupérées dans la cave de Juliette Bertinier, un nectar avec une si belle couleur et un nez de fumé, des arômes en bouche de fruit des sous-bois, ils parlèrent de ces étonnants cahiers puis la conversation vint sur les déboires amoureux de René. Ce dernier n’était pas avare de détails sur son infortune dont il reconnaissait être le principal artisan. Il n’était certes pas du genre à tromper sa femme mais seulement à se tromper de femme, de temps en temps et seulement de temps à autre. Mais une goutte d’eau avait, en quelque sorte, fait déborder le vase et tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Ou qu’elle boute l’infidèle hors ses murs. Donc les frasques de notre René avaient sans doute dépassé les bornes de ce que pouvait supporter son épouse et une prudente retraite s’était imposée à lui. Retraite de prime abord dorée puisque, mieux que le coucou, il avait dégotté un nid et la femelle ad hoc. Sauf que le mâle volage, revenu au bercail, chassa le Cinsault avec armes et bagages. Celui-ci, quoiqu’adroit sigisbée, se trouva fort dépourvu lorsque les bises eurent disparu et qu’il se retrouva sur le trottoir sans réchaud ni casseroles. D’où son empressement à se porter au secours de son ami Albert, secours mutuel dira-t-on.
-          Mon cher Albert, ce fut un scandale d’arroser un plat de pâtes avec un si grand Chambolle, déclara-t-il, et pour me faire pardonner, je vais ouvrir la troisième, seulement histoire de vérifier qu’il n’est pas bouchonné !
Il joignit le geste à la parole, remplit les deux verres en cristal de duralex et ils trinquèrent une troisième fois sans barguigner.
(à suivre...)

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