-
Ça se termine un peu en queue de poisson,
son histoire, déclara Charles. Mais on peut quand même supposer que les mauvais
ont fini par payer.
-
Ouais, t’as peut-être raison, répondit
René. Mais c’était une drôle d’époque avec de vrais et de faux résistants, des
collabos sans le vouloir et des pétainistes acharnés. Sans oublier un proc’ qui
baisse son froc devant un notable grande gueule.
-
T’en sais des choses, toi. T’as aussi lu
ça dans science et vie junior ?
-
Meuh non, sot ! Y’a pas besoin de ça
pouvoir le savoir…
-
Allons, Charles-attend et René-la-Science,
on redémarre ! Déclare Albert. On a déjà perdu assez de temps, on n’est
pas d’ici nous autres et surtout toi, René !
-
Mooosssieur René-la-Science ! Te
voilà habillé pour l’hiver mon poteau, ça te va comme un gant, reprend Charles.
-
D’accord, moi René-la-Science et toi
Charlatan. Il ne reste plus qu’à donner un petit nom à notre maître-maçon, Albébert
l’homme-pressé ! Cela dit, on met toute cette littérature de côté, je
trouve ça génial quelqu’un qui a su régulièrement relater sa vie. Et nous qui
sommes les dépositaires, nous nous devons de protéger ce petit trésor.
Ils
mirent les cahiers dans une grande enveloppe et dans la cabine du fourgon,
après quoi ils reprirent leur activité de déménageurs. Le soir, Charles
repartit chez lui alors que René et Albert faisaient la route vers chez René
pour décharger le fourgon. Ils arrivèrent vers vingt-deux heures, le temps de
décharger il était minuit. Pendant que René improvisait un
spaghetti-beurre-oignons frits et lardons fumés, Albert installait deux grabats
à même le sol.
Avec
500 grammes de pâtes, un coulant baraqué et un quignon de pain, la conversation
aurait peut-être langui mais avec trois bouteilles de Chambolle-Musigny
récupérées dans la cave de Juliette Bertinier, un nectar avec une si belle
couleur et un nez de fumé, des arômes en bouche de fruit des sous-bois, ils
parlèrent de ces étonnants cahiers puis la conversation vint sur les déboires
amoureux de René. Ce dernier n’était pas avare de détails sur son infortune
dont il reconnaissait être le principal artisan. Il n’était certes pas du genre
à tromper sa femme mais seulement à se tromper de femme, de temps en temps et
seulement de temps à autre. Mais une goutte d’eau avait, en quelque sorte, fait
déborder le vase et tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Ou
qu’elle boute l’infidèle hors ses murs. Donc les frasques de notre René avaient
sans doute dépassé les bornes de ce que pouvait supporter son épouse et une
prudente retraite s’était imposée à lui. Retraite de prime abord dorée puisque,
mieux que le coucou, il avait dégotté un nid et la femelle ad hoc. Sauf que le
mâle volage, revenu au bercail, chassa le Cinsault avec armes et bagages.
Celui-ci, quoiqu’adroit sigisbée, se trouva fort dépourvu lorsque les bises
eurent disparu et qu’il se retrouva sur le trottoir sans réchaud ni casseroles.
D’où son empressement à se porter au secours de son ami Albert, secours mutuel
dira-t-on.
-
Mon cher Albert, ce fut un scandale
d’arroser un plat de pâtes avec un si grand Chambolle, déclara-t-il, et pour me
faire pardonner, je vais ouvrir la troisième, seulement histoire de vérifier
qu’il n’est pas bouchonné !
Il
joignit le geste à la parole, remplit les deux verres en cristal de duralex et
ils trinquèrent une troisième fois sans barguigner.
(à suivre...)
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