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jeudi 8 octobre 2020

Appelez-moi Fortunio (87)

Il enlève de la brosse un long cheveu délicat, il voudrait en voir la couleur mais la lumière est encore trop faible pour la discerner. Tenant ce fil soyeux et le faisant glisser entre son pouce et son index, il se penche légèrement pour tenter de se voir dans la psyché. Il pense qu’il pourrait ramasser le linge qui la protégeait de la poussière mais il est trop alangui dans ses songes pour quitter son siège moelleux.

Quelques minutes passent et le jour commence timidement à poindre, faisant luire les miroirs et il essaye, face à la psyché, de mirer le léger cheveu mais il faudrait bien plus de lumière pour discerner la teinte d’un seul fil aussi fin. Mais il s’aperçoit maintenant de face, il tourne la tête pour se voir de profil, tel Narcisse au bord de la fontaine se gausse-t-il. Un léger instant son image est troublée puis disparait et enfin réapparaît, comme si quelqu’un, quelque chose, une ombre étrange passait devant le miroir. Il vit un long moment de sidération dont il émerge en se disant qu’il a eu une hallucination, il secoue la tête, incrédule. Il veut se lever et à ce moment, le même phénomène se reproduit. Il secoue encore la tête, se laisse aller au fond du fauteuil, fasciné il regarde toujours le miroir et il croit comprendre car ψυχή en grec, c’est l’âme, l’esprit… Et si une âme était passée, issue de la spirale des âges, se faufilant dans la stabilité dynamique du temps?

Et si cet âme, cet esprit, était venu lui faire savoir, lui faire comprendre des choses ? Ou, plus simplement lui donner à vivre un instant de grâce où les choses deviennent claires, se mettent en ordre ? Il lui semble en effet que… il s’endort…

Ce sont des voix qui le sortent de sa léthargie, des voix humaines ! Il se lève lentement et regarde par la fenêtre. René et un couple tentent de traverser à pied l’inondation autour du château et, apparemment, ils n’y arriveront pas sans se tremper les pieds. Albert recule afin de ne pas être vu depuis le bas, il lui est nécessaire de prendre un peu de temps avant de reprendre pied dans le monde des vivants. Car pour lui, l’évidence est là : maintenant, Daniel doit savoir qu’il ne peut pas persister à vivre dans cette maison, il doit vendre, partir ailleurs et se reconstruire près des autres, sa mère, ses demi-frères et sœurs, sa famille et retrouver le monde ordinaire après avoir été plusieurs années en prison et en hôpital psychiatrique. Donc, première évidence et c’est à lui, Albert, qu’incombe la tâche de le lui dire. Clairement et nettement, sans passer par le truchement de madame la psy. Et à ce propos, deuxième évidence : il s’est fait piéger dans cette histoire –en effet, pourquoi lui ? Sinon parce qu’il était l’amant de madame la psy !- et cela doit lui servir, non de leçon, mais comme une expérience dont il faut sortir pour grandir. Donc, entre Christelle et Rosa, ni l’une ni l’autre. Et entre Rosa 1 et Rosa 2, on fait le ménage dans les consciences. Résultat des courses : la seule mission qu’il lui incombe dans cette baraque, c’est de mettre les points sur les i au bon Daniel. Il faut donc qu’il arrive à s’en acquitter au plus tôt.

René et ses amis ont réussi à trouver un endroit favorable, un gué en quelque sorte et ils tambourinent à la porte. Albert se demande quelle heure il peut être et il constate avec étonnement qu’il a passé près de trois heures face au miroir car il est neuf heures.

 (à suivre...)


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