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dimanche 4 octobre 2020

Contes et histoires de Pépé J (5)

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Il faut le dire, les histoires du fond du pays ne sont pas toujours de la plus grande délicatesse même si elles évitent généralement d’être grossières ou vulgaires. On peut les qualifier de triviales ou rustiques, d’un humour simple et toujours de saison. L’histoire suivante n’y fait pas exception.

Pour la raconter, il faut d’abord brosser le tableau : années 60, le foirail du gravier à Agen, un mercredi. Depuis le XVIIème siècle, il y avait un marché aux bestiaux installé au bout du Gravier à Agen et, dans les années 60, il avait lieu le mercredi matin. Il y avait la halle pour les veaux, les repoutets ou les veaux gras élevés sous la mère, et l’esplanade avec des barrières simples où l’on attachait les bovins, généralement tenus par une simple corde de chanvre serrée à la base des cornes. Bouchers ou maquignons s’y affairaient, généralement équipés d’un mince bâton qu’ils font claquer surs les cuisses des animaux et d’une paire de ciseaux courbes avec laquelle, après tout achat, ils cisèlent rapidement leur marque personnelle dans le poil sur le dessus de la cuisse de la bête, souvent en chiffres romains. Il y a aussi les éleveurs qui ont porté eux-mêmes une bête ou l’autre ou qu’ils ont fait porter par le boucher de leur village. Puis il y a la foule des paysans avides de connaître le cours, de voir se passer les affaires et de savoir les dernières nouvelles. Certains aussi sont venus pour acheter et parfois, ayant acquis l’un ou l’autre veau, ils suivront le Cours de Belgique jusqu’à Jasmin puis remonteront tout le boulevard de la République jusqu’au Pin pour mettre leur bedèls dans la remorque du car de Puymirol ou de Bourg de Visa. Je vous dis pas la corrida sur les trottoirs du boulevard…

Le marché aux bestiaux du mercredi avec ses embouteillages est bien sûr la hantise des automobilistes qui veulent s’approcher du Pont de Pierre, direction Le Passage d’Agen car l’activité déborde sur le cours, on traverse çà et là, les bétaillères manoeuvrent et patin coffi…

Ce fut donc un de ces mercredis, vers midi quand il y a le plus de monde mais que l’activité est ralentie, qu’un robuste gaillard qui arborait un assez gros paquet commença, d’une belle voix de stentor, à inciter la population à le suivre : « Venez-voir, braves gens, venez voir ! » et il montrait bien à tous son volumineux paquet. Et derechef : « Braves gens, venez voir, venez voir braves gens ! » Il commençait à se faire un attroupement, il leur fit signe de l’accompagner et se mit à monter vers le Pont de Pierre qui, à l’époque, était encore en pierre. La foule attirant la foule, il fut suivi par une petite troupe jusque vers le milieu du pont où il s’arrêta.

« Regardez bien, bonnes gens, vous allez voir ! » s’écria-t-il en brandissant son paquet puis, l’ouvrant théâtralement, il leur fit contempler un gros morceau de mou de bœuf, à savoir le poumon. « Regardez bien, regardez bien » reprit-il sous la mine étonnée des spectateurs.

Là, d’un geste auguste, il déballa sa barbaque et la jeta, par-dessus le parapet, dans la Garonne : « Voyez, braves gens, regardez comment avec si peu de viande je fais tant de bouillon ! »

Il fut pris d’un rire homérique mais les spectateurs apprécièrent peu d’être venus jusque-là pour se faire moquer et quelques mahousses le chopèrent sous les bras –ils riaient sous cape certainement – et ils le redescendirent au Gravier où ils lui trempèrent manu militari les fesses dans l’eau. Tout cela se termina dans la bonne humeur autour d’une chopine aux Arènes, ce café si célèbre dont j’espère bien vous parler un de ces jours.

Voilà, c’est tout et c’est une vraie histoire.

 

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