Oreilles
attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Il faut le dire, les histoires du
fond du pays ne sont pas toujours de la plus grande délicatesse même si elles
évitent généralement d’être grossières ou vulgaires. On peut les qualifier de
triviales ou rustiques, d’un humour simple et toujours de saison. L’histoire
suivante n’y fait pas exception.
Pour la raconter,
il faut d’abord brosser le tableau : années 60, le foirail du gravier à
Agen, un mercredi. Depuis le XVIIème siècle, il y avait un marché aux bestiaux
installé au bout du Gravier à Agen et, dans les années 60, il avait lieu le mercredi
matin. Il y avait la halle pour les veaux, les repoutets ou les veaux gras
élevés sous la mère, et l’esplanade avec des barrières simples où l’on
attachait les bovins, généralement tenus par une simple corde de chanvre serrée
à la base des cornes. Bouchers ou maquignons s’y affairaient, généralement
équipés d’un mince bâton qu’ils font claquer surs les cuisses des animaux et d’une
paire de ciseaux courbes avec laquelle, après tout achat, ils cisèlent
rapidement leur marque personnelle dans le poil sur le dessus de la cuisse de
la bête, souvent en chiffres romains. Il y a aussi les éleveurs qui ont porté eux-mêmes
une bête ou l’autre ou qu’ils ont fait porter par le boucher de leur village.
Puis il y a la foule des paysans avides de connaître le cours, de voir se
passer les affaires et de savoir les dernières nouvelles. Certains aussi sont
venus pour acheter et parfois, ayant acquis l’un ou l’autre veau, ils suivront
le Cours de Belgique jusqu’à Jasmin puis remonteront tout le boulevard de la
République jusqu’au Pin pour mettre leur bedèls
dans la remorque du car de Puymirol ou de Bourg de Visa. Je vous dis pas la
corrida sur les trottoirs du boulevard…
Le marché aux
bestiaux du mercredi avec ses embouteillages est bien sûr la hantise des
automobilistes qui veulent s’approcher du Pont de Pierre, direction Le Passage
d’Agen car l’activité déborde sur le cours, on traverse çà et là, les
bétaillères manoeuvrent et patin coffi…
Ce fut donc un de
ces mercredis, vers midi quand il y a le plus de monde mais que l’activité est ralentie,
qu’un robuste gaillard qui arborait un assez gros paquet commença, d’une belle
voix de stentor, à inciter la population à le suivre : « Venez-voir,
braves gens, venez voir ! » et il montrait bien à tous son volumineux
paquet. Et derechef : « Braves gens, venez voir, venez voir braves
gens ! » Il commençait à se faire un attroupement, il leur fit signe
de l’accompagner et se mit à monter vers le Pont de Pierre qui, à l’époque,
était encore en pierre. La foule attirant la foule, il fut suivi par une petite
troupe jusque vers le milieu du pont où il s’arrêta.
« Regardez
bien, bonnes gens, vous allez voir ! » s’écria-t-il en brandissant
son paquet puis, l’ouvrant théâtralement, il leur fit contempler un gros
morceau de mou de bœuf, à savoir le poumon. « Regardez bien, regardez bien »
reprit-il sous la mine étonnée des spectateurs.
Là, d’un geste auguste,
il déballa sa barbaque et la jeta, par-dessus le parapet, dans la Garonne :
« Voyez, braves gens, regardez comment avec si peu de viande je fais tant
de bouillon ! »
Il fut pris d’un
rire homérique mais les spectateurs apprécièrent peu d’être venus jusque-là
pour se faire moquer et quelques mahousses le chopèrent sous les bras –ils riaient
sous cape certainement – et ils le redescendirent au Gravier où ils lui
trempèrent manu militari les fesses dans l’eau. Tout cela se termina dans la
bonne humeur autour d’une chopine aux Arènes, ce café si célèbre dont j’espère
bien vous parler un de ces jours.
Voilà, c’est tout et c’est une vraie histoire.
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