Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Aujourd’hui encore, une histoire que je dois à Bettina, auteure qui habite en Bourgogne et qui est nouvelliste et romancière. Une histoire ou plutôt un conte que je m’empresse de vous livrer et qui s’appelle : « Le Bon gros rire gras ».
Il était une fois un bon gros rire, bien gras, qui ne cessait jamais de s'esclaffer, de se réjouir, de se vanter et de tout prendre à la légère. Rien ne pouvait l'arrêter de rire. Tout le réjouissait, la vie, l’amour, la mort, et jusqu'au malheur des gens. Chacun commençait à le trouver un peu pénible, à s'en lasser, à trouver son rire lourd, on le fuyait, mais il continuait à rire tout ce qu’il pouvait. Sa solitude ne lui pesait même pas. Un jour, pourtant, il rencontra une larme qui se promenait sur le chemin de la forêt. Dès qu'il la vit, il se mit à s'esclaffer en se tenant le ventre.
– ha ha ha ! Mais pourquoi es-tu triste ? Souris à la vie, fais comme moi, prend les choses du bon côté. Tu verras, la vie te sourira.
– C'est que, répondit la larme, je suis perdue, je ne sais plus où aller...
– Ha ha ha, "perdue", tu ne "sais plus où aller"... mais ce n'est pas grave, remets-toi, souris, il y a toujours un port pour chaque marin qui part, et puis, perdu, perdu, nous sommes tous un peu "perdus". C'est souvent agréable de l'être, ça nous change de notre réalité monotone et banale...
La petite larme retenait son souffle, se disait que non, décidément ce bon gros Rire gras ne comprenait pas, qu'il ne comprenait rien. Il ne cessait de rire en se tapant sur le ventre et en répétant " perdue !", "perdue !", "elle est perdue!"...
– Je ne comprends pas ce qui te fait rire ainsi. On rit quand les choses sont vraiment drôles non ? Ou qu'elles ne vous touchent pas vraiment... mais moi, tu vois, je souffre. Et ton rire... me détruit un peu plus.
– Mais voyons, tu manques d’humour… tu me dis je "suis perdue", mais ce n'est pas un drame quand même…
– Oui, tu as raison, être perdue n'est pas un mal en soi, mais la raison qui fait que je suis perdue l’est, vois-tu… et cela me dévaste.
Le bon gros Rire gras, un peu ému, arrêta soudain de rire. Il demanda à la larme quelle était la raison profonde de son malheur.
La larme répondit :
– Ma mère m'a abandonnée, mon père est en prison, et je n'ai plus personne pour m'aimer ni pour s'occuper de moi. Je suis donc sans abri, sans secours ni argent.
Le bon gros Rire gras cessa alors soudain de rire. Il essuya une larme discrète pour ne pas être vu, et il réalisa qu'il riait un peu à tort et à travers et souvent à mauvais escient. Il prit soudain conscience qu’il pouvait faire mal à rire de tout, que certains sujets méritaient plus de gravité.
Pour finir, il pensa même qu'il y avait parfois de bonnes raisons de pleurer.
Alors, plein d'empathie, il serra la petite larme dans ses bras avec affection, il la sécha et lui fit de gros bisous pour la consoler de se sentir abandonnée.
Il lui promit de lui apprendre à rire dès qu'elle aurait retrouvé confiance, santé et amitiés.
Mais il lui précisa tout de même que parfois, dans la douleur, le meilleur remède était de sourire, que cela évitait de rendre la souffrance victorieuse, que le rire était un bon bouclier contre le souci, le mépris et la misère.
La petite larme, dans un effort surhumain pour surmonter sa peine, le comprit alors, et pour lui faire plaisir, lui fit son plus beau sourire.
Les deux amis partirent sur le chemin, en se tenant par la main. Mieux, ils décidèrent de ne plus jamais être loin l’un de l’autre. Alors, le bon gros rire bien gras, sourit à travers ses larmes.
Cric crac, c’est tout et c’est une vraie histoire.
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