– Je ne vois pas qui d’autre, il n’aurait pas mis son macaron si ce travail n’avait pas été fait par lui. Mon père est décédé depuis sept ou huit ans, il ne pourra pas nous éclairer. Mais attendez, avez-vous une idée approximative de l’année où ces tableaux ont été peints ?
– Oui, 1953, peut-être 52 mais Leyden est décédé en 53, répond Hervé.
– Cette affaire me touche, je vais faire des recherches car mon père notait énormément de choses, il avait des petits calepins dans lesquels il écrivait tous les évènements au jour le jour. Mais je dois retrouver ces carnets et chercher dedans, je ne peux pas faire cela en un tournemain, vous me comprenez ?
– Je ne vous en demande pas tant, je souhaitais simplement…
– Je vous le répète, cette histoire me touche personnellement. Je n’ai pas connu, ou si peu, monsieur Leyden. Mais nous sommes dans un cas très singulier. Mon père avait beaucoup d’estime et d’affection pour lui. Nous venons de voir qu’il a réalisé un travail très particulier, certainement à la demande expresse de monsieur Leyden. Je ne sais pas si nous découvrirons les raisons pour lesquelles cela a été fait ainsi, car mon père indiquait les évènements sans forcément les commenter ou les annoter. Mais je me sens une sorte de devoir envers ces deux hommes, maintenant que j’ai découvert qu’ils avaient en quelque sorte un secret commun.
– Je comprends, dit Hervé. Alors, que faisons-nous maintenant avec ces tableaux ?
– Oui, oui, oui. Je ne sais pas, répond l’encadreur. Vous avez maintenant deux tableaux et ma question est la suivante : et si le cadre était en fait destiné au portrait de la jeune fille ? Seriez-vous prêt à me laisser reconditionner ce cadre qui pourrait fort bien lui convenir ? Je ne vous demanderai pas un sou de plus, vous remarquerez d’ailleurs que je ne voulais pas que vous vous sépariez du cadre, c’est assez amusant, dit Dussieu en souriant.
– Vous avez sans aucun doute raison, mais j’ai trop faim maintenant pour prendre cette décision. Puis-je revenir vous voir après déjeuner ? Je vous laisserai les tableaux.
– En effet, il est plus de midi et demi, je n’ai pas vu passer le temps et je vous fais mourir de faim. Je suis désolé…
– Dites-moi où je puis aller manger, je ne connais pas Morlaix. J’aimerais un petit restau sympa et pas cher, rien d’extraordinaire…
– Alors allez chez Zulma, la vierge folle. Un bistrot dédié à Tristan Corbière, enfant du pays…
– Et poète contumace…
– Je vois que vous le connaissez. Une raison de plus pour aller vous restaurer sous son égide, c’est à deux pas. En sortant d’ici, prenez à droite et en arrivant sur le boulevard vous faites deux-cents mètres et vous y êtes.
– Merci, monsieur Dussieu, j’y cours et je reviens vous voir une fois sustenté.
Il trouve facilement le bistrot et entre. L’ambiance est chaude, il y a du monde. Une solide gaillarde fait le service et lui attribue une place à une table minuscule. Elle prend sa commande et en la voyant partir, il pense à la vierge folle hors barrière :
« Elle était riche de vingt ans,
Moi j’étais jeune de vingt francs ».
Après un agréable repas, il fait quelques pas dans la ville avant d’aller retrouver Dussieu. Il n’est pas encore quatorze heures, mais ce dernier l’attend dans son magasin.
– Je vous remercie, vous m’avez fort bien conseillé et j’ai bien mangé.
– Alors, qu’avez-vous décidé ? J’espère que vous avez réalisé que vous vous trouvez maintenant en possession de deux tableaux. Vous êtes entré en me disant que vous n’êtes pas un collectionneur et vous sortirez d’ici en l’étant devenu…
– En effet, je me résigne donc à devenir un collectionneur. Votre proposition est la bonne, si vous êtes toujours partant pour reconditionner le cadre et y mettre le portrait de jeune fille.
– Oui, aucun problème. Avez-vous quelques courses à faire en ville ?
– Non, j’avais juste envisagé de faire un tour à la galerie Lautort.
– Vous connaissez ? Monsieur Lautort est un de mes clients…
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