Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. L’histoire du château de Lambruse est peu connue et je suis peut-être un des derniers qui s’en souviennent. C’est pour cela que je tenais à vous la raconter aujourd’hui. Ce château, bâti sur une colline en terrasse dominant le Lot, avait été bâti au milieu du XIXème siècle par un négociant rochelais. Il avait vu grand, il y avait des salles à manger, les salons, la bibliothèque, le fumoir et autres au rez-de-chaussée ; ce beau bâtiment avait, aux étages, plus de vingt chambres, tant pour les propriétaires que pour les invités. Cet homme, nommé Cadou, avait non seulement une belle fortune mais il avait aussi épousé une femme qui était elle-même seule héritière d’un joli patrimoine. Cette femme était d’une beauté remarquable et avait un esprit d’une grande finesse. Ce couple avait tout pour être heureux et ce fut le cas durant les premières années du mariage. Ils eurent trois enfants, un garçon et deux filles. Ce bonheur allait-il durer ? Lorsque la plus jeune fille avait huit ans, une tuile tomba de la toiture et fracassa cette petite vie. L’autre sœur mourut à treize ans, empoisonnée par des baies sauvages. Quant à l’ainé, il était parti en 1870 se battre contre les prussiens et il périt, atteint par un boulet ennemi.
Ce couple n’avait donc plus d’enfants mais le châtelain avait plus d’une corde à son arc. Outre son prestigieux château, il avait aussi fait bâtir des dépendances et des métairies sur son domaine ainsi qu’un pavillon de chasse dans lequel il tenait des rendez-vous galants. Ce faisant, il avait sans doute tiré une flèche un peu loin et il lui en était sorti un héritier naturel qui vivait à demeure avec sa mère dans ce pavillon. Le nommé Cadou n’avait pas poussé l’impudence jusqu’à les faire venir au château mais tout cela faisait jaser, bien sûr. Qu’importe, il avait décidé que son fils naturel serait l’héritier de sa fortune ainsi que de celle de sa femme.
Cadou décéda à 55 ans et son fils naturel pensa bien s’emparer de la totalité de cette fortune mais Aurélie, la veuve, ne lâcha rien de ses prérogatives légales : elle restait maitresse de sa propre fortune et gardait jusqu’à sa mort la disposition d’une partie des biens de son mari. Ce qui fit donc que Mathurin, le fils adultérin, vint s’installer au château dont il n’était que nu-propriétaire pour partie. Mais pour lui, qu’importe, il s’installa et commença à mener la grande vie. L’argent lui filait entre les doigts, il menait un train infernal avec l’espoir de pousser Aurélie à abandonner le domaine. Mais c’était sans compter sur la résistance dont elle était capable.
Un splendide tableau trônait dans le salon. Il avait été réalisé par un artiste-peintre de Lyon que Cadou avait fait venir spécialement. Il représentait Aurélie au meilleur de son âge : elle avait une majesté et une beauté que le peintre avait su rendre avec talent. Dès qu’on entrait dans le salon, on ressentait l’autorité morale de cette femme, une tutelle bienveillante mais puissante dont le regard suivait ceux qui entraient dans cette pièce. Mathurin aurait aimé décrocher un tel symbole de ces murs mais n’en n’eut jamais l’audace jusqu’à un soir d’ivresse où, en l’absence d’Aurélie, il fut mis au défi par ses compagnons d’orgie de le décrocher. Il prit un escabeau, monta et, au moment où il allait y parvenir, il fit une chute violente et mortelle. Abasourdis, ses compagnons virent alors la peinture fermer les yeux. Epouvantés, ils quittèrent les lieux, laissant à quelques domestiques le soin de s’occuper du mort.
Avertie de ce qu’il s’était passé, Aurélie dédaigna de revenir au château et se retira dans une petite maison sur la côte basque où elle vécut deux ans de plus. Le château resta alors à l’abandon. Les bois et taillis ont maintenant envahi les abords. Il ne faut pas aller le visiter car il tombe en ruine et s’en approcher est devenu dangereux. Mais, malgré toutes les intempéries, le tableau est toujours à sa place et les yeux d’Aurélie Cadou sont restés fermés. Toutefois, d’aucuns ont prétendu avoir entendu des voix étranges, certaines nuit. Une personne qui voulait entrer dans la demeure ruinée se sentit repoussée par une main ferme puis tirée en arrière. Mais cela, ce sont des on-dit, les fantômes n’existent que pour ceux qui les respectent.
Cric crac, c’est tout et c’est une vraie histoire.
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