– C’est vrai, j’y étais moi aussi, mais je n’ai pas osé entrer dans le cimetière. Elle voulait que je l’accompagne au moins jusqu’à l’entrée du cimetière, que je l’attende et que je sois avec elle pour revenir à la maison. Elle avait réussi, à l’insu des vieux, à quitter Le Bussiau avec sa belle robe, elle s’était changée dans les bois avant d’arriver à St- Lambaire et elle s’est rechangée au même endroit, au retour. En arrivant à la ferme, je suis allé en éclaireur pour voir où étaient les vieux. Ils étaient encore dehors et Mady a pu ranger sa robe discrètement. Nous nous sommes fait un peu engueuler parce que nous avions du travail en retard, mais sans plus. Mais Mady, après le cimetière, elle ne m’a plus rien dit, ni ce soir-là ni le lendemain. Le jour d’après, elle était morte au petit matin. Dans ma vie, je n’ai eu qu’une sœur, c’était Mady, je n’ai eu qu’un père, c’était Denis. C’est pour cela que c’était si dur pour moi de reparler d’elle la première fois que vous êtes venu. Depuis, j’ai repris mes marques et de plus le fait de parler d’elle c’est aussi lui redonner un peu de vie. Voilà toute mon histoire, mon histoire du Bussiau. Reste une chose, un homme, monsieur Artur. Je crois que pour Mady, monsieur le baron représentait le désespoir, la douleur, la détresse. Pour Mady comme pour moi, monsieur Artur c’était l’espoir, la joie, l’allégresse. Il nous devait la vie, nous l’avions sorti de l’eau. Et nous lui étions reconnaissants de l’intérêt qu’il nous portait. On a raconté n’importe quoi sur lui, sur Mady aussi. Je n’ai jamais cru à un accident. Vous me direz qu’il avait déjà commis une imprudence en se laissant prendre par la marée. Il aurait pu en commettre une autre. Je ne le crois pas, je ne peux pas le croire. Il était accusé d’avoir mis Mady enceinte : cela n’est pas vrai, ce n’est pas lui, cela ne peut être que ce vieux dégueulasse de baron. Pour le coup, je reconnais que je n’ai rien vu, je n’étais pas derrière la cloison. Mais j’ai entendu ce que le baron disait à la mère Veudenne et j’ai vu les traces de sang sur les draps. Tout cela n’est pas rien. Voilà, je vous ai tout raconté, je préfère en rester là mais cela fait du bien de sortir ce que j’ai sur le cœur depuis si longtemps. Mais cela ne fera pas revivre Mady, ni monsieur Artur. Et le Vermorec, baron de mes deux, lui il a dû crever depuis le temps et dans son lit ce sagouin.
– Il n’est pas mort dans son lit, on l’a trouvé inanimé dans l’entrée de son château, il y a longtemps, dans les années soixante…
Achille regarde Hervé doucement, puis en direction de la fenêtre. Le jour baisse.
– Il est six heures moins le quart, l’infirmière ne va pas tarder à passer, dit-il en voyant Hervé qui se lève.
– Je vais partir, il y a un bus qui passe dans dix minutes, dit Hervé en rassemblant les tasses.
– Laissez tout cela, ne manquez pas votre bus. Revenez me voir si vous voulez mais je n’aurai rien de plus à raconter…
– J’essayerai mais je ne voudrais pas vous déranger.
Il prend la main du vieil Achille entre les siennes et la serre longuement en le regardant dans les yeux. Il part.
*
(à suivre...)
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