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jeudi 9 octobre 2014

Le cabot de Fortunio (14)

Comme son nom l’indique, Dingley est anglais. Un de ceux qui sont venus en France pour soutirer du fric à leurs compatriotes fortunés. J’explique : des Anglais friqués viennent acheter une belle maison en pierre dans le sud-ouest. Les Anglais aiment l’Aquitaine, certains croient revenir  chez eux en oubliant que Talbot a pris une déculottée à Castillon. Mais ils n’aiment guère les Français et leur langue et leurs préjugés autant que leur monolinguisme les poussent à une erreur fatale : faire travailler des compatriotes anglophones. Ces derniers manient mieux la langue des Stones que la truelle ou le marteau et ils ont une forte propension à surévaluer leurs prestations. Une fois que ces requins ont suffisamment écumé la région, ils lèvent l’ancre et partent plus loin taxer d’autres congénères. Ceux d’entre eux qui ont acheté une maison la revendent sans scrupules à un prix très élevé, toujours à des Anglais qui se disent qu’une maison aussi chère doit valoir son pesant d’or. En fait d’or, ils ramassent plutôt des peanuts et ils vont de surprise en surprise. Dingley, lui, c’est un cas spécial, il a acheté une ruine qui est resté ruine malgré les quelques tonnes de béton qu’il y a mises et qui en ont fait une moins-que-ruine. Il y habite vaille que vaille, seul car sa femme et son gamin sont repartis dans les brumes d’Albion. Asocial quoique jovial, alcoolique et de plus radin, il ne sort de sa tanière que pour aller boire chez l’un ou l’autre mais il ne paie jamais à boire lui-même. Après un épisode d’entreprise au black chez ses congénères, il s’est recyclé dans l’entretien de piscines et d’espaces verts et je l’emploie de temps à autre lorsque j’ai vraiment besoin d’un gars en plus, ce qui, d’après lui, lui donne le droit de venir me taxer ma réserve d’alcool. Et là, il me prend par surprise : je n’ai pas le temps de planquer mes boissons alcoolisées. Il arrête son char, un antique Ford Transit, devant ma porte d’entrée et déboule en anglicisant :
-          Foootunioowww, c’est moâ !
Cette entrée en matière n’est pas du goût de La Flèche qui lui fonce dessus en aboyant.
-          Wooow ! Sale béte, shut up bad dog !
-          Sors ta trapanelle de mon soleil, perfide anglais, tu m’emmerdes à toujours te garer là, dis-je avec autorité.
Il s’exécute en maugréant et je récupère le cador. Puis il revient en s’écriant :
-          Mais tu as un chien, maintenant ?
-          Oui, c’est toute une histoire. Mais je suppose que tu veux boire quelque chose…
-          Oh, si tu veux oui mais je ne venais pas pour ça…
-          Ne me dis pas que tu ne bois plus !
-          Si, si, mais je suis pressé ! Tu regardes le match ?
-          Le match ? Quel match ?
-          Le match France-Allemagne, la coupe du monde, c’est maintenant !
-          J’en sais rien moi. Et tu comptes le regarder chez moi ?
-          Well, oui Foootunioww, mon télé est en panne, je vais rater le match, tu vas le regarder quand même ?
-          J’en ai rien à foutre de ce match, tu vas pas m’emmerder avec ça !
-          Allez, Foootuniowww, ça va commencer !
-          C’est sur quelle chaîne ?
-          La dou, vite vite !
-          On dirait que t’as envie de pisser, allez entre, on va voir ça !

J’ai en effet une télévision mais un vieux poste en couleur quand même. Je l’allume et tout de suite on entend les hurlements dans le stade, ce qui déclenche des hurlements à la mort du côté du clebs. Le chien devient fou et mon Dingley commence à péter un câble. Je chope La Flèche et la confine dans la fourgonnette puis je reviens à la maison où j’installe quelques boissons acidulées pour mon rosbif saignant. Je me promets, une fois le match terminé, de le mettre dehors et je surveille donc la quantité d’alcool qu’il ingère. Bien sûr, ce sont les Français qui mènent le jeu sans toutefois arriver à conclure. Dingley tient pour les Allemands, ce qui me paraît assez déplacé pour quelqu’un qui se fait inviter chez un françouze mais c’est Dingley. On ne devient pas rosbif, on nait rosbif, aurait dit la Simone. Et un engliche préfère encore soutenir les Allemands que supporter les Bleus… ah perfide Albion ! Evidemment, on va aux prolongations après un zéro à zéro, les Bleus marquent deux buts pendant la première, les Fridolins deux autres pendant la seconde et aux tirs au but, ce sont eux qui gagnent. Gros plan sur le gardien bleu qui pleure, sur les supporters qui gémissent et larmoiements des journalistes sportifs. Je coupe le son et j’intime à mon britannique l’ordre de rentrer chez lui ou à Abbey Road, comme il lui chantera. Il me taxerait bien encore une mousse mais il a son quota, je reste inflexible. Et puis, un traître à la patrie ne mérite pas une mousse de plus.  Il y a un autre match ce soir mais je lui dis d’aller ailleurs, c’est pas un bistro ici.
(à suivre...)

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