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jeudi 4 juin 2015

Le cabot de Fortunio (48)

-          Ce fut dur mais on y est arrivé. Crois-moi, ces connards ont su jouer avec mes nerfs. Laisse-moi réfléchir, on en était où, la dernière fois ? Un million d’Euros, non ?
-          Ouais…
-          Du jour au lendemain, ces cons ont changé d’avis, ils remontaient la barre à deux bâtons. Là, j’avais les boules, j’ai carrément raccroché au nez du gars. Je savais bien qu’il y allait de la vie d’Eliane mais si j’avais cédé ils auraient continué à jouer avec mes pieds… et sans garantie aucune, bien sûr. Bon, tu comprends qu’ils ont rappelé mais là je n’étais pas seul, j’avais besoin de quelqu’un de la fondation avec moi. Mais j’ai été sec quand même, j’ai clairement dit que je ne discuterais plus au téléphone et que je voulais entendre ma frangine avant toute autre discussion. Donc, ils ont rappelé, j’ai effectivement eu Eliane au bout du fil. J’ai bien entendu qu’elle était à bout mais j’étais rassuré. Cela dit, je suis resté ferme sur mon exigence de ne pas poursuivre la discussion au téléphone. Le lendemain, un gonzier vient me voir au garage, un mec du genre libanais, le teint jaune, chapeau-mou, canne et manteau style poil de chameau. Il me demande une entrevue dans mon bureau et il me dit qu’il a été contacté par des gens inconnus de lui – il faut dire qu’il est avocat – qui l’ont mandaté pour négocier avec moi. J’ai pas trop aimé la manœuvre mais, baste, il faut bien en sortir, trouver une solution. L’avocat, une sorte d’anguille insaisissable, m’a traîné en bateau pendant plus d’une heure. Il m’aurait fait tourner en bourrique mais, d’un coup et avec le sourire, je lui ai déclaré qu’on n’arriverait pas à s’entendre et que l’entretien était terminé. Je lui ai même proposé de lui faire servir un café par ma secrétaire car j’avais à faire. Il a encore essayé de biaiser mais je l’ai planté là, dans mon bureau. Il a bu son cafiot, il ne savait plus trop quoi faire, il a passé un appel sur son portable puis il a demandé à ma secrétaire d’aller me chercher. Je suis revenu, pas tout de suite, manière… tu comprends. Là, il m’a déclaré qu’il avait pour mandat de passer accord à un million deux cent mille, pas moins. Que cette affaire ne lui plaisait pas, qu’il avait accepté pour des raisons purement humanitaires. Humanitaire mon cul, je lui ai répondu en le regardant droit dans les yeux, je lui ai dit : une brique deux, d’accord mais tu leur dis qu’ils arrêtent de jouer avec mes pieds, je veux du neuf et vite, à savoir la libération de ma frangine. Bon, le gonze se barre et deux heures après, le téléphone encore. Mes premiers interlocuteurs, un peu menaçants au début mais on a fini par mettre les choses au point : un rendez-vous sera fixé, là-bas en plein bled – en plein désert devrais-je dire – avec une valise pleine de fric. Donc, il faut de la fraîche et vite. Tu peux combien, tu avais dit quinze, non ? Enfin, je veux dire cent-cinquante ?
-          Je pourrais monter à deux-cents s’il…
-          Attends, avec cent ça ira. On a une aide, par l’intermédiaire de la Chancellerie mais ça faut pas le répéter, d’une fondation internationale. Je passe les détails mais si tu peux cent, ça le fera. Ensuite, est-ce que tu es prêt à y aller ?
-          S’il le faut, dis-je sans entrain.
-          Il le faut. Tu partiras avec un gars de mon conseil d’administration mais c’est plutôt le genre père tranquille, capable d’arrondir les angles avec les officiels, polyglotte et sachant glisser un billet en sous-main quand il faut. Mais c’est toi qui iras faire l’échange. Tu te sens prêt ?
-          Comme tu l’as dit : il le faut et j’irai. Je sais pas trop comment faire mais j’irai.
-          Merci, Fortunio, enfin…Albert…
-          Fortunio, ça ira bien.
-          Bon, c’est pas tout. Gheusy et toi, vous serez accompagnés par un gars plus ou moins officiel jusqu’au Gondo. Là-bas, vous aurez une escorte de l’armée Gondolaise avec un conseiller militaire français, il parait que c’est un peu le genre baroudeur. Ils seront simplement chargés de vous véhiculer et de vous protéger, ils n’interviendront que si vous êtes en danger. Bon, on en reparlera. Je vais te planter là, tu n’imagines pas ce que je vis en ce moment.
-          Si, si, j’imagine mon pote !
-          Oui, bien sûr. Bon, tu peux l’avoir quand, la fraîche ?
-          Au plus tard dans quarante-huit heures.
-          Parfait. Donc c’est cent, en billets usagés, billets de cent Euros maxi. Tu ne prends pas d’argent de poche, on te donnera ce qu’il faut. Si tu as un passeport, il vaut mieux que tu le prennes avec toi mais notre officiel te servira de sauf-conduit. Vos bagages ne devraient pas être contrôlés. Dans quarante-huit heures on est jeudi, voilà un billet Marmande-Toulouse, essaye d’arriver avant 19 heures, manière qu’on se fasse un restau. Je crois que tu prendras l’avion vendredi de bonne heure.
Il dépose le billet de train, va payer les cafés, me serre la pince et met les bouts. Je me lève pour commander un calva au bar. Je vois que je remonte illico dans l’estime des cavaliers de l’apocalypse hépatique, le patron et ses deux sbires. C’est toujours ça de gagné.

*
(à suivre...)

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