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jeudi 5 mai 2016

Le cabot de Fortunio (96)



Nous rejoignons la taverne de tonton et tata Bonnefoi qui nous accueillent comme là-bas dis, à la pied-noir, mon fils que j’t’embrasse. L’émotion est forte mais douce puisque les nouvelles sont bonnes et que nous espérons en ramener encore de meilleures. Pour le coup, on se prend tous un Pernod, manière de sécher nos larmes et d’humecter nos glottes. Ensuite, une soupe de légumes suivie d’un cassoulet à sa manière, au confit de porc, petits poivrons et haricots tarbais – de quoi craindre pour la route -. Et, pour couronner le tout, une belle part de tarte aux pommes meringuée. Et arrosé d’un coup de Saint-Chinian, il faut ça ou rien. Ensuite nous montons dans la chambrette où j’ai déjà dormi. François me montre la cachette, un truc imparable et introuvable pour qui sait pas. Puis il va se pieuter ailleurs.
Nous nous accordons jusqu’à une heure du matin et François me vire de mes plumes où je commençais à me sentir bien. La sortie de Toulouse se fait comme sur un billard et François jubile au volant de sa grosse berline.
Il y a encore des routiers avant Paris qui vous servent des petits déjeuners d’homme, saucisson, Cantal, Saint-Nectaire, beaujolpif, café et du pain sans concessions. Nous nous en envoyons un derrière la cravate, comme si on avait pas bouffé depuis vingt-quatre heures puis nous rejoignons le VDG (comprenez le Val-de-Grâce). En arrivant je comprends que je n’aurais pas pu voir Eliane sans autorisation, donc pas de regrets. Et puis, on y est maintenant. Là encore, c’est aussi la grosse émotion mais en douceur car elle peut à peine bouger la tête, elle parle tout doucement et je peux lui prendre la main. Il en passe des choses juste par le bout des doigts. Nous ne sommes pas autorisés à rester plus de dix minutes mais pourrons revenir vers cinq heures.
Nous sortons et François décide de faire un tour sur les quais. Ensuite c’est moi qui décide d’aller faire un tour dans les jardins du Luxembourg, un pèlerinage en quelque sorte. Puis nous allons voir si le restaurant où nous avions déjà mangé était dans son jour de rognons-Juliénas.
A cinq heures, Eliane est installée dans son lit, bien calée et le buste un peu relevé. Toujours d’une extrême pâleur, elle parvient à parler avec plus d’entrain.
-          Il faut que je te raconte comment je me suis réveillée : c’était comme un cauchemar. Tu me tournais le dos, tu voulais tuer quelqu’un, il y avait juste une personne, comme un passant, qui voulait t’en empêcher. Mais tu es parti, tu voulais tuer et je voulais te crier « Ne le tues pas ! » mais rien ne sortait de ma gorge… je ne sais pas si ce passant a réussi à t’arrêter…
-          T’inquiète mon amour, je n’ai tué personne…
-          Mais tu sais, j’ai aussi entendu, quand j’étais dans le coma, je crois que tu m’as parlé… c’est vrai ça, non ?
-          Oui, dis-je, la voix étranglée.
-          Tu as dit : Eliane, tu es mon amour et il faut que tu tiennes, il le faut. C’est resté écrit en moi et je savais que je devais tenir, c’est tout ce que je savais. Pour toi. Pour nous.

C’est bizarre comment on peut être. Maçon, rustique, un peu cynique. Et avoir la larme qui roule au coin de l’œil. Dans un cas comme ça, le mieux c’est de la fermer. Surtout quand y’a rien à dire de plus. Et tout était dit. Donc l’infirmière nous fout dehors et on sort. On monte dans la caisse et on part. Toulouse direct.
*
(à suivre...)

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