Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour.
Deux célébrités sont passées de vie à trépas au mois de décembre et ces décès
ont déchaîné une telle rafale d’apologies et d’éloges funèbres que je m’en
voudrais d’ajouter une fausse note dans le chœur des pleureuses. On a pu, à ces
sujets, lire d’anciens présidents mais aussi lire et entendre l’actuel. Ce
qu’ils ont pu dire ou écrire ne dépare pas dans la liturgie ambiante. Ce qui
m’a paru surprenant de la part de ces gens qui furent ou sont élus à la
majorité mais sans unanimité, c’est qu’ils utilisent des expressions comme « tout
le monde l’aimait » ou « personne ne l’oubliera » alors que bon
nombre de gens s’en tamponnent hardiment le coquillard. Étrange démocratie où
vivent ces gens coupés du monde parce que
plongés dans leur microcosme…
Je ne dirai donc rien au sujet du chanteur
américanomorphe et exilofiscaliste mais, sans toutefois me joindre à ce si bel
unisson, me permettrai de dire quelques mots sur M. Jean d’Ormesson que je
m’étais autorisé à critiquer dans ma chronique du 4 juin 2013. Quatre ans, cela
fait bien loin, laissons les morts et les présidents enterrer les morts mais
j’ai toujours eu pour Monsieur Jean
une dilection, non tant pour sa haute taille et sa grande bravoure que pour la
qualité de son verbe et sa capacité à assumer ce qu’il était et ce qu’il vivait.
Homme de droite, heureux de l’être et le proclamant, il fut néanmoins toujours
prêt à reconnaître et à apprécier les qualités de ses adversaires, pour peu
qu’ils en eussent, des qualités. Je crois qu’il n’affichait ni l’arrogance des
nantis ni le mépris des intellectuels mais qu’il possédait cette affabilité naturelle
et ce respect de l’autre dus à une vraie éducation.
Pour commenter son œuvre, il faudrait avoir lu
plus de trois de ses ouvrages, chiffre où je me suis arrêté non parce que je ne
voulais plus en lire mais que cela nécessite de la disponibilité et une
dépense. Jean d’Ormesson fut un raconteur épatant et son gros livre « Au
plaisir de Dieu » est écrit dans une langue si belle, si claire et si
fluide que le lecteur en sort imprégné. C’est une vraie leçon de langue. Lire
avec Jean d’Ormesson, c’est apprendre à parler et apprendre à bien parler, c’est
commencer par comprendre soi-même ce que l’on dit afin d’être bien compris par son interlocuteur. Le
grand mérite de Monsieur Jean fut
bien de nous faire ce cadeau à nous et aux générations futures.
Esprit brillant, trop peut-être, Jean d’Ormesson
fut aussi attiré par la lumière des médias au point parfois de tomber dans
certaines futilités. Produit parfait et lisse, il jouait parfois « aux
caprices des dieux », produit de tête de gondole avec ses yeux bleus, sa
diction surannée, sa lippe gourmande et son sourire exquis. Dans
« Mythologies », Roland Barthes parle de la figure de l’écrivain en
vacances vue par Le Figaro et de l’alliance spectaculaire de tant de noblesse
et de tant de futilité qui signifie que l’on croit encore à la contradiction
miraculeuse de la sacralité et de la banalité. D’aucuns ont même pu dire de lui
qu’il était un fake, une sorte
d’imposture ou de trucage, mais dans le cas d’un normalien, le seul mot qu’il
conviendrait d’utiliser serait canular,
si prisé dans le milieu de la rue d’Ulm.
Hédoniste malicieux, il était l’héritier d’un
savoir-vivre à la française et qu’il nous lègue en partant, à chacun de savoir
s’il accepte cette succession sans bénéfice d’inventaire. Charles de Gaulle
disait que son seul rival international était Tintin, on peut dire que le seul
rival franco-français de Jean d’Ormesson était Johnny et la dernière ruse de ce
malicieux agnostique fut de mourir vingt-quatre heures plus tôt, lui damant
ainsi le pion. Juste pour nous montrer qu’au-delà du savoir vivre, il y a le
savoir-mourir.
On voit par-là que tout le bonheur du monde est
dans l'inattendu. (Jean d’Ormesson)
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