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dimanche 21 janvier 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs III (18)



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Deux célébrités sont passées de vie à trépas au mois de décembre et ces décès ont déchaîné une telle rafale d’apologies et d’éloges funèbres que je m’en voudrais d’ajouter une fausse note dans le chœur des pleureuses. On a pu, à ces sujets, lire d’anciens présidents mais aussi lire et entendre l’actuel. Ce qu’ils ont pu dire ou écrire ne dépare pas dans la liturgie ambiante. Ce qui m’a paru surprenant de la part de ces gens qui furent ou sont élus à la majorité mais sans unanimité, c’est qu’ils utilisent des expressions comme « tout le monde l’aimait » ou « personne ne l’oubliera » alors que bon nombre de gens s’en tamponnent hardiment le coquillard. Étrange démocratie où vivent ces gens coupés du monde parce que  plongés dans leur microcosme…
Je ne dirai donc rien au sujet du chanteur américanomorphe et exilofiscaliste mais, sans toutefois me joindre à ce si bel unisson, me permettrai de dire quelques mots sur M. Jean d’Ormesson que je m’étais autorisé à critiquer dans ma chronique du 4 juin 2013. Quatre ans, cela fait bien loin, laissons les morts et les présidents enterrer les morts mais j’ai toujours eu pour Monsieur Jean une dilection, non tant pour sa haute taille et sa grande bravoure que pour la qualité de son verbe et sa capacité à assumer ce qu’il était et ce qu’il vivait. Homme de droite, heureux de l’être et le proclamant, il fut néanmoins toujours prêt à reconnaître et à apprécier les qualités de ses adversaires, pour peu qu’ils en eussent, des qualités. Je crois qu’il n’affichait ni l’arrogance des nantis ni le mépris des intellectuels mais qu’il possédait cette affabilité naturelle et ce respect de l’autre dus à une vraie éducation.
Pour commenter son œuvre, il faudrait avoir lu plus de trois de ses ouvrages, chiffre où je me suis arrêté non parce que je ne voulais plus en lire mais que cela nécessite de la disponibilité et une dépense. Jean d’Ormesson fut un raconteur épatant et son gros livre « Au plaisir de Dieu » est écrit dans une langue si belle, si claire et si fluide que le lecteur en sort imprégné. C’est une vraie leçon de langue. Lire avec Jean d’Ormesson, c’est apprendre à parler et apprendre à bien parler, c’est commencer par comprendre soi-même ce que l’on dit afin  d’être bien compris par son interlocuteur. Le grand mérite de Monsieur Jean fut bien de nous faire ce cadeau à nous et aux générations futures.
Esprit brillant, trop peut-être, Jean d’Ormesson fut aussi attiré par la lumière des médias au point parfois de tomber dans certaines futilités. Produit parfait et lisse, il jouait parfois « aux caprices des dieux », produit de tête de gondole avec ses yeux bleus, sa diction surannée, sa lippe gourmande et son sourire exquis. Dans « Mythologies », Roland Barthes parle de la figure de l’écrivain en vacances vue par Le Figaro et de l’alliance spectaculaire de tant de noblesse et de tant de futilité qui signifie que l’on croit encore à la contradiction miraculeuse de la sacralité et de la banalité. D’aucuns ont même pu dire de lui qu’il était un fake, une sorte d’imposture ou de trucage, mais dans le cas d’un normalien, le seul mot qu’il conviendrait d’utiliser serait canular, si prisé dans le milieu de la rue d’Ulm.
Hédoniste malicieux, il était l’héritier d’un savoir-vivre à la française et qu’il nous lègue en partant, à chacun de savoir s’il accepte cette succession sans bénéfice d’inventaire. Charles de Gaulle disait que son seul rival international était Tintin, on peut dire que le seul rival franco-français de Jean d’Ormesson était Johnny et la dernière ruse de ce malicieux agnostique fut de mourir vingt-quatre heures plus tôt, lui damant ainsi le pion. Juste pour nous montrer qu’au-delà du savoir vivre, il y a le savoir-mourir.
On voit par-là que tout le bonheur du monde est dans l'inattendu. (Jean d’Ormesson)

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