La pluie commence à tomber en grosses gouttes puis, très rapidement, ce sont des cataractes qui tombent. Un nouveau coup de vent plie la grande tente qui s’affaisse en lâchant des morceaux de bâche. Les responsables interviennent en demandant que personne ne tente quoique ce soit, la sono a pu être protégée et il est dangereux de chercher à sauver le reste tant qu’il y a du vent. Tout le monde s’est réfugié dans la petite salle des fêtes et, suivant le mouvement, Rosa et Albert croisent René qui prend Albert à part :
- Mon petit Fortunio, peux-tu me passer la clé du château, j’ai à faire…
- Affaire ? Répond Albert sans se démonter. Il lui tend la clé.
- Merci, mon pote, je laisserai la porte de derrière ouverte, dit-il en partant vivement suivi d’une donzelle rapide comme l’éclair.
Rosa le tire par la manche et l’entraîne le long une coursive vers l’arrière du bâtiment. Dehors, la pluie tombe en rafales. Ils sont dans une resserre à outils, elle l’entraîne plus loin encore, le faisant traverser une courette sous la drache implacable, puis ils se retrouvent dans une serre assez encombrée mais qui a l’avantage d’être passagèrement éclairée par l’orage.
Elle le précède dans l’allée centrale puis, presque arrivée au bout, entre deux lauriers roses, elle se retourne et l regarde effrontément dans les yeux :
- On est seuls au monde, ici pendant l’orage…
- Je ne sais pas si on est seuls mais on est là toi et moi, dit-il en l’attirant à lui.
Il l’enlace et lui prend la bouche de ses lèvres émues. Dehors, la pluie tombe encore plus intensément, battant à gros bouillons sur le toit vitré de la serre, ruisselant généreusement sur les côtés. A chaque flash, la lumière leur fait croire qu’ils sont dans un aquarium ou des petits poissons perdus dans l’immensité d’un océan. Chaque coup de tonnerre fait vibrer la carcasse de la serre, donnant une impression autant de précarité que de sûreté. Combien de temps restent-ils à s’embrasser, ils ne savent, le temps est aboli. Au bout d’une demi-éternité, Rosa l’entraîne sur des bottes de paille, couvertes d’une petite bâche, qu’on croirait judicieusement posées là à cet effet. Combien de temps restent-ils sur cette couche improvisée, ils ne le surent pas plus car ils constatèrent à un moment que l’eau commençait à envahir le sol de la serre. Il était temps de se rajuster et d’évacuer les lieux. Dehors, le déluge continue et ils peuvent juste rejoindre discrètement la salle des fêtes au moment où la lumière revient.
Rosa lui fait comprendre qu’elle va s’éclipser discrètement et il se retrouve isolé dans une foule éberluée mais qui retrouve un peu ses marques dans la lumière. Il comprend que sa présence n’ajoute rien à l’assemblée et, sous le regard apitoyé des présents, il se jette sous le déluge pour tenter de retrouver sa fourgonnette. Il récupère aussi la mob qu’il met à l’arrière.
La fourgonnette tousse un peu mais arrive à démarrer, les essuie-glaces peinent à dégager le parebrise et il part en direction du château. Par endroits, un torrent dévale des chemins latéraux et il roule doucement, en seconde pour permettre de faire tourner son moteur en donnant un maximum de charge. Mais en arrivant vers un bas-fond, il se rend compte qu’il est inutile de chercher à traverser le torrent, il y a plus de cinquante centimètres d’eau et son delco risque à coup sûr de ne pas accepter la noyade. Il a la chance de trouver à se garer.
Là, il hésite : dormir dans la fourgonnette ou continuer à pied ? Trempé pour trempé, il décide de sortir la meule, de fermer la caisse, de traverser la flotte en poussant/soulevant puis de tenter un démarrage motorisé. Bonne pioche, après le mini torrent, la pétrolette accepte de démarrer et, au petit trot, il regagne le château. Inutile de dire qu’il dégouline de la tête au pied, il est trempé jusqu’au slip, ce qui n’est pas sans rafraîchir à point nommé son matériel qui a connu précédemment la surchauffe.
Tant pis pour la pudeur, il se déshabille à l’entrée, laissant ses affaires dans le timbre de l’office, on verra au matin. Il monte, nu comme un ver, à l’étage. En passant devant la porte de la chambre dévolue à René, il lui semble percevoir un ronflement mais il ne cherche pas à en savoir plus et se dirige vers la salle d’eau où il se sèche vigoureusement avant d’aller dans la chambre se glisser dans son lit.
*
(à suivre...)
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