Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Je vous ai dit la semaine dernière que je vous dirais des contes ou des histoires du fond du pays. Mais je vous donnerai aussi à entendre des poèmes ou bien je vous parlerai d’écrivains locaux, modestes et géniaux. Mais cette fois, je citerai un conteur, Jean-François Bladé. Il nous parle du Drac et je vous le cite car ce sera une introduction à une autre histoire, bien plus personnelle, que je vous dirai plus tard.
« Les Dracs sont de petits esprits qui, en autres se plaisent dans les écuries. Pendant le jour, ils se cachent où ils peuvent, sous la litière et dans les trous des murs.
La nuit, ils sortent, t vont tresser le crin des chevaux, comme l’homme le plus adroit ne serait pas en état de le faire. Si les maîtres ne ferment pas à clef le coffre à avoine, les Dracs ne manquent pas d’aller en prendre, pour la donner aux chevaux.
Un Drac se fit l’ami d’un maquignon de Poupas, pour un fouet de tresses de soie, emmanché de bois de Perpignan[1], avec une belle pomme rouge et jaune à la poignée. Ce fouet fut pendu à un endroit de l’écurie, où nul ne devait le toucher que le Drac lui-même. En paiement de ce fouet, le Drac faisait de grands services au maquignon. Il lui soignait si bien ses chevaux et ses juments, qu’on n’en n’aurait pas trouvé de si beaux aux foires d’Agen et de Toulouse.
Par malheur, le maquignon eut un jour la fantaisie de se servir du fout de soie, et le Drac ne tarda pas à se venger. Le même soir, on entendit des coups de fouet claquer dans l’écurie, et les chevaux sauter et hennir. Aussitôt, on y alla. On ne vit rien. Mais les pauvres bêtes étaient mouillées de sueur, comme si elles avaient fait dix lieues au grand galop. Chaque soir, le tapage recommença. Pour tant que vieillissent le maître et les valets, ils ne purent jamais rien voir. Au bout de sept mois juste, on n’entendit plus rien. Peut-être le Drac fut-il chassé par les conjurations d’un grand devin que le maquignon fit venir des Landes. Peut-être aussi le Drac se trouva-t-il assez vengé, et s’en alla-t-il de lui-même quelque autre part.
-Monsieur Bladé, Pierre est un homme incapable de mentir. Ce qu’il sait sur le Drac, il vous l’a dit. Voici ce qu’il ne sait pas. Je le tiens de mon père (Dieu lui pardonne !)e Pichou que vous avez connu quand vous étiez enfant, et qui était métayer de votre grand-père et de votre père (Dieu leur pardonne !), à Hoursès.
Un soir mon père revenait seul de la ville de Lectoure, et s’en retournait à Hoursès. Il pouvait être onze heures, et la nuit était noire comme l’âtre. Vous savez que, tout proche de Boulouch, il y a une mare à gauche du chemin. De cette mare partaient de grands bruits, comme les coups de maillet des lavandières qui battent la lessive. Alors mon père pensa : Quelles sont donc ces sottes, qui battent la lessive à cette heure-ci ? Mais ce n’étaient pas des lavandièreq, monsieur Bladé, c’était le Drac. Il fut tellement irrité d’être surpris qu’il couvrit mon père de vase, depuis la tête jusqu’aux pieds. Voilà ce que le brave homme m’a dit vingt fois, et ce que m’a redit encore plus souvent ma pauvre mère, qui avait vu rentrer son mari dans cet état. »[2]
Voilà, c’est tout et c’est une histoire vraie.
[1] En bois de micocoulier.
[2] Jean-François Bladé, Contes populaires de la Gascogne, Paris, Maisonneuve frères et Ch. Leclerc, 1886, 3 vol.
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