– Mais si c’est un Leyden, c’est une de ses dernières œuvres, me semble-t-il, dit Landau.
– Bien vu, cher maître, répond Marondeau, c’est l’année même de la mort d’Artur Leyden. Savez-vous comment il est mort ?
– Non, je sais qu’il est décédé au début des années cinquante, mais je ne connais pas la date exacte ni la cause du décès.
– On a retrouvé Artur Leyden en bas d’une falaise, le corps fracassé sur les rochers, juste au bord de cette mer qu’il avait si bien dessinée, si bien peinte. L’enquête, à l’époque, a conclu à une mort accidentelle. Ni suicide, ni crime pour la justice, et Artur Leyden peut reposer en paix dans notre cimetière. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont cru à un suicide. Parce que le paisible et farouche Leyden faisait l’objet d’une enquête de la police. Il était soupçonné d’avoir, sinon violé, du moins défloré une très jeune fille de la campagne. Et cette jeune fille, à quatorze ans, était manifestement enceinte. Je n’en sais guère plus mais la mort de Leyden mettait un point final à l’enquête et tout Saint-Lambaire respira. N’oublions pas que ses sœurs recevaient dans leur boutique les meilleurs portefeuilles de la ville. Et Dieu sait si les aumônières sont sensibles au simple parfum du scandale ! Il n’était pas utile de parler de suicide, cela aurait empêché un enterrement religieux. Et de plus, une enquête plus poussée aurait pu compromettre quelqu’un d’autre… c’est ce qui s’était murmuré à l’époque. Il y a tout de même eu un incident au moment de la sépulture. La petite sauvageonne que l’on soupçonnait d’être grosse des œuvres de notre Artur a eu l’impudence de venir mettre une fleur sur le cercueil. Nul n’a bronché mais tous ont frémi dans l’assistance. Elle est repartie aussi subrepticement qu’elle était arrivée et l’incident aurait été bien vite oublié si l’on n’avait pas retrouvé le lendemain cette jeune fille noyée dans un étang. Mais, de même, l’enquête conclut à une mort par accident. Les quelques remous que cette affaire avait soulevés, s’apaisèrent, les sœurs Leyden prospérèrent largement grâce aux peintures que leur frère avait encore dans son atelier et, après le décès de la dernière des sœurs, ce fut une nièce de la seconde femme de Monsieur Leyden qui hérita et devint, dans les années quatre-vingt, ayant droit sur les œuvres restantes. Cela donc, messieurs, était l’histoire d’Artur Leyden, mais je vais revenir maintenant à celle de mon tableau. Car je pense bien vous avoir dit que j’ai longtemps ignoré de qui il était.
– En effet, répond Landau. Et j’espère voir un jour ce tableau pour vous dire si je puis moi aussi l’authentifier. En somme, vous courez un risque en me racontant tout cela !
– Nullement, mon cher. Votre jugement est toujours très sûr et vos avis me sont précieux. Néanmoins, vous comprendrez à la fin de mon histoire que je ne cours pas de risque. Je pourrais seulement, si je pouvais vous faire examiner cette peinture, aller au devant d’une déception. Mais telle que je vous la raconte, je trouve l’histoire un peu triste et prenante à la fois.
– Nous referiez-vous un peu de thé, Raymond, votre histoire me donne soif en tout cas, dit Landau.
– Volontiers, j’allais vous le proposer, l’heure avance et il commence à faire sombre. Hervé, mon ami, voulez-vous allumer cette lampe, vous serez bien gentil.
Hervé allume la lampe tandis que Marondeau s’éloigne avec la théière.
– Ce sacré Raymond ! Un excellent commerçant. Il a le don de captiver ses clients avec des histoires abracadabrantes et il les endort tant et si bien qu’il leur vendrait et des vessies et des lanternes !
– Vous croyez qu’il a inventé toute cette histoire ? demande Hervé.
– Certainement pas toute l’histoire. Les quelques petites touches de mystère sont de lui. Mais, nom d’une pipe, je voudrais bien voir ce tableau qui serait, selon ses dires, le seul paysage non maritime peint par Leyden. Il est censé n’avoir peint que des marines, aucun portrait et aucun autre paysage.
– Nous sommes donc dépendants du bon vouloir de notre hôte que voilà, dit Hervé en montrant de la main Raymond qui arrive avec une théière pleine.
– Vous comploteriez derrière mon dos ? interroge Raymond, le sourcil en accent circonflexe. Ce n’est pas bien de votre part.
– Je prévenais seulement notre ami Hervé de votre extraordinaire capacité d’affabulation, véritable joyau de votre art du commerce, commente Landau.
(à suivre...)
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