Lectrices et lecteurs assidus de Gascogne et Guyenne, bonjour. Suite à un incident technique, la chronique de la semaine passée n'a pas été diffusée à la radio. Comme elle le fut sur ce blog, pour ne pas vous resservir un plat réchauffé, je vous sers un plat un peu tiède qui a concouru et obtenu une petite distinction dans un concours d'écriture.
Après la nuit, 1970.
Dedans le jour, dehors la nuit… je ne sais plus très bien. Je ne sais plus où j’habite, étant toujours prêt à prendre le chemin de l’étable et à surveiller les vêlages. Les vaches, ce n’est pas comme les moutons, il n’y a pas de période où les mises bas sont groupées, une vingtaine, une centaine parfois, en quinze jours ou trois semaines. Non, là il y en a une tous les deux ou trois jours un peu toute l’année et je ferais mieux de dire toutes les deux ou trois nuits. Parfois cela dure plusieurs heures, je ne suis jamais tranquille et vous savez bien qu’elles préfèrent vêler la nuit, elles sont plus calmes. C’est pourquoi, pour ne pas les surprendre en arrivant, j’ai mis un vitrage translucide dans la porte de grange. Je regarde avant d’ouvrir doucement, sans chuchoter, sans mot dire. Puis je m’avance doucement, je regarde où en est le travail, j’essaye de ressentir si la vache demande à être aidée ou si elle préfère le calme, l’obscurité, la tranquillité. Parfois, une musique douce pourrait créer une ambiance favorable mais on n’est pas en studio, ici. La parturiente est une première portée - je devrais dire primipare pour parler comme le vétérinaire – et elle est inquiète. Elle est très douce, elle s’appelle Arda, ardente et fière, si jolie dans sa robe lustrée !
Plus tard, on verra. Je me dis cela maintenant que je l’ai vue et je vais revenir à la maison, attendre encore car le veau arrivera bien avant le matin. Il est une heure, je pense à ces marins qui nomment ce moment de la nuit zéraq, de zéro à quatre heures quand tout peut arriver, le meilleur ou le pire, quand l’attention baisse alors qu’il faut redoubler de vigilance. Une naissance est toujours un passage à côté du danger, la mort parfois, pour la mère et le petit animal à naître, c’est un travail de funambule dans lequel le vacher peut rétablir le balancier, en douceur et avec une attention soutenue. Pas de précipitation mais pas de temps à perdre… Je sors et une fois dehors, je me retourne et regarde l’étable : dans la faible lueur de la nuit, elle ressemble à un long paquebot. Je hume l’odeur du fumier luisant qui se mêle au parfum du foin venu du fenil. La pluie tombe en abondance, je trépigne dans la boue mais au loin les ruisseaux se gonflent et chargent les nappes phréatiques. Dans quelques mois, quand l’hiver va enfin basculer vers le renouveau, les réserves d’eau seront généreuses. J’entends, par-dessus le tambourin de la pluie sur les tuiles et dans les flaques, appeler, du côté la maison.
Que la voix de mon père me trouve enfin. Il s’inquiète, il dort mal en début de nuit et m’avait entendu sortir. « Tout va bien, papa, cette nuit un petit papillon sortira de sa chrysalide pour peu qu’il arrive à trouver sa sortie-de-secours. Je crois que ce sera un mâle, un petit repoupét, » J’entends un rire sonore, ça l’amuse de m’entendre utiliser cette expression. En patois c’est le petit veau qu’on vend à quinze jours. Un répoupét, c’est de l’argent qui rentre de suite. Si c’est une femelle, elle sera trop précieuse, on la gardera pour l’élevage. Enfin, je vous raconte ça, peut-être que ça vous est bien égal, à vous. Mais un petit éleveur doit tenir son cheptel, sinon son troupeau part en décadence. Maintenant, je reviens à mon étable et cette fois ça y est, je vois sortir deux pattes, tout se présente bien. Une demi-heure plus tard, une petite femelle commence déjà à tituber en se mettant sur ses pattes. Dans un doux meuglement, sa mère la lèche avec amour et la nettoie puis, en se dandinant, elle rejoint le pis nourricier. Une nouvelle ardente est née, on l’aime déjà, rien qu’à la sentir si vivante. Je jette un coup d’œil à l’extérieur : malgré la grisaille le jour commence à poindre. Je rêvasse deux minutes dans l’ambiance chaude et paisible, j’écoute le souffle puissant des vaches dont la faim s’éveille. Après la nuit, le soin des bêtes reprend, je vais donner à manger, sortir le fumier et mettre la traite en route. Le travail n’attend pas. Je me reposerai, plus tard, peut-être.
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