– C’était avant l’affaire du couteau ? demande Hervé.
– Non, après, mais ce qui est remarquable dans ces deux affaires, c’est que pour l’un comme pour l’autre j’ai un acheteur avant d’avoir fixé le prix et que donc chaque fois j’ai dû donner un prix au débotté, dirais-je. Ce tableau revient se faire accrocher chez moi, je ne doute pas qu’il y ait eu intention de sa part. Il se trouvait bien chez moi et voulait y revenir.
– Bien sûr, bien sûr, dit Landau avec un sourire ironique.
– à genoux, mon cher, c’est à genoux que vous me demanderez pardon, tout expert que vous soyez.
– Nous sommes tout ouïe, continuez votre histoire, mon cher Raymond, dit Landau.
– Oui car il y a une suite. Ce tableau que nous appellerons « La chaumière au bord du lac » finit par intéresser un riche industriel qui possédait un yacht amarré dans un port en Méditerranée. Il était venu à Saint-Lambaire pour affaires et s’était arrêté dans mon magasin pour acheter des meubles de bateau pour son yacht. Je n’avais rien à lui proposer, mais la chaumière lui a plu. Il me l’a payée « cash », je lui ai fait un reçu et il m’a demandé de lui expédier le tableau à bord de son yacht, au port d’attache en Méditerranée. Il me laisse donc une adresse où j’envoie quelques jours après le tableau par un transporteur spécialisé. Deux ou trois semaines passent et le tableau me revient par le même transporteur. Ils n’ont pu livrer le tableau, il n’y avait personne à l’adresse indiquée. Il y avait bien eu un bateau, un gros bateau de plaisance, mais qui était parti sans que l’on puisse savoir où. Le tableau est encore de retour et cette fois j’ai été totalement payé, même si j’ai eu quelque frais pour le transport et le retour. Et de mauvaises langues vont encore faire croire que ce tableau n’avait pas l’intention de revenir chez moi…
– Où avez-vous vu de mauvaises langues ? s’esclaffe Landau.
– Des langues de vipère, oui, répond Marondeau, et qui se sent morveux qu’il se mouche !
– Pouvez-vous me donner un kleenex ? Ce ne serait pas pour me moucher mais pour essuyer mes larmes, répond Landau.
– Glissez mortels, n’appuyez pas… Je n’ai pas encore fini, qui sait si je ne devrais pas remettre la fin de l’histoire à un autre jour, il commence à se faire tard…
– Pas de chantage, mon cher, vous savez bien que je ne suis que de passage à Saint-Lambaire et je ne voudrais pas rater la fin de l’histoire !
– Bientôt vous vous mettrez à genoux, voyez cela, mon cher Hervé. Vous au moins, êtes un auditeur compatissant et sans arrière-pensée.
– Mais impatient de connaître la suite, je l’avoue, répond Hervé. J’aimerais bien un peu plus de thé.
– Servez-vous, servez-vous, le temps passe et vous ne savez encore rien, ou si peu. Un peu plus de dix années passèrent et ce tableau était toujours chez moi, dans l’arrière-magasin. Au début, j’avais pensé que son légitime propriétaire se présenterait un jour et le tableau était resté dans son solide emballage. J’avais fini par le déballer et je l’avais accroché sans plus de façons au premier clou qui se présentait. C’est le conservateur du musée de la ville qui l’a sorti de sa léthargie. Il vient un jour chez moi pour, dit-il, me faire une visite de courtoisie entre amateurs de beaux objets. Je lui présente ce que j’ai en magasin, je lui dis que j’ai un local dans lequel j’ai encore quelques pièces intéressantes, nous parlons longuement et l’idée me vient de lui montrer mon petit tableau. Il est tout de suite intéressé et nous le décrochons pour le mettre à un endroit mieux éclairé. Je le vois examiner la signature avec attention, il se redresse et me regarde d’un air interrogateur : « De qui est cette peinture ? » me demande-t-il. Je lui dis que je n’en sais fichtre rien et que j’attends de lui qu’il me renseigne. Et c’est là qu’il m’annonce tout de go : « Pour moi, la signature est de Leyden, à vérifier bien sûr. Ce qui est étrange, c’est que ce serait le seul paysage non marin qu’il aurait peint. Si la ressemblance avec la signature est frappante, la similitude avec les couleurs et surtout les mélanges de couleur de Leyden me parait tout aussi forte. Pour moi, c’est sa patte. J’aimerais revenir examiner cette peinture plus à mon aise, serait-ce possible ? ». J’acceptai volontiers, j’avais l’impression de faire une bonne œuvre en faveur de ce tableau. Néanmoins, je ne souhaitais pas que ce tableau quitte mon magasin. Le conservateur reviendrait autant de fois qu’il le voudrait pour l’examiner mais le tableau resterait chez moi. Il revint donc plusieurs fois et me demanda l’autorisation de venir avec un expert reconnu qui serait bientôt en ville. J’acceptai encore. Et l’expert, après un examen approfondi du tableau, confirma que celui-ci pouvait être attribué à Artur Leyden. Bien sûr, si je savais maintenant qui avait peint ce tableau, cela n’en changeait que peu la valeur. Il y avait eu un engouement pour Leyden dans les années cinquante et soixante, mais nous étions sur la fin des années soixante-dix et sa cote n’était déjà plus aussi florissante. (...)
(à suivre...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire