Contes et histoires de Pépé J II (13) (12 déc. 2021) Martin Brazac(2)
Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Voici la suite de l’histoire de Martin Brazac dont je vous ai conté le début la semaine dernière :
« La tempête finie, le beau temps revenait.
« Martin et Léonie repartirent et trouvèrent sans trop de peine leur chemin. Martin suivait sa mère, tête baissée. Il pensait au rêve qu’il avait fait dans la nuit, après s’être assomé. Il y pensa toujours, mais n’en dit rien à personne.
« Rentré chez lui, il découvrit en se déshabillant qu’il avait une tache rougeâtre sur la poitrine, grande comme une pièce de dix sous, plus sombre qu’une piqûre d’insecte et qui ne ressemblait pas non plus à un eczéma. Il la frotta avec une pommade pour les maladies de la peau, à base de graisse de serpent et l’oublia.
« À quelque temps de là, il entendit parler du « sorcier de la carrière ». Il demanda quelle carrière. Elle se trouvait du côté de Lussac et ressemblait bien à celle où il s’était abrité avec sa mère.
« On lui raconta qu’un sorcier avait vécu là autrefois, on ne savait quand au juste. Il guérissait les gens et les bêtes malades, les enfants idiots et les maris qui avaient l’aiguillette nouée ; mais il n’avait pas beaucoup de client, car on disait qu’il évoquait le diable sous forme d’eune belle jeune femme blonde.
« Il mourut dans sa tanière et personne n’osa aller chercher le corps qui pourrit sur place. L’odeur infecte persista longtemps et, pendant des années, il fut impossible de s’approcher. On racontait aussi que la belle femme blonde continuait de tourner aux environs, en cherchant un autre fiancé…
Martin ricana, fit l’esprit fort, mais il avait la sueur au front. Et presque tous les soirs, il ne pouvait s’empêcher de regarder la tache rouge sur sa poitrine. Il lui sembla qu’elle changeait tout le temps de forme et de taille. À un moment, elle devint plus grosse qu’une pièce de cent sous et presque noire. Plus tard, elle diminua tant qu’on aurait dit tout juste une piqûre d’épingle.
« Martin se crut sauvé. Il épousa une belle brune bien saine et bien simple, qui riait à pleine gorge quand on parlait de choses pas naturelles. Il avait peur qu’elle le questionne sur sa marque rouge. Mais pendant sa nuit de noces, il s’aperçut que la tache avait complètement disparu. Comme elle ne revint pas, il n’y pensa plus.
« Sa brune lui donna deux enfants, qui étaient bien différents.Un petit garçon plus beau et plus intelligent que tous les enfants du village et une petite fille mignonne, mais simple d’esprit, qui ne parlait pas et restait des heures assise dans un coin. Un jour, la femme s’en alla et une semaine plus tard, les bateliers retrouvèrent son corps dans la Dordogne. Martin dut élever ses enfants avec l’aide de sa mère, la Léonie, qui avait bien vieilli. La tache rouge sur sa poitrine était revenue, grosse comme un écu.
« Martin Brazac passa bientôt pour un peu dérangé. Il s’était remis à rêver de sa fiancée blonde. Son fils si doué s’en alla un jour. Les gens dirent qu’ils l’avaient vu prendre la diligence de Sarlat en compagnie d’une jeune femme : ça ne pouvait pas être la mère, puisqu’elle était morte. La gendarmerie fit une enquête mais on ne retrouva jamais l’enfant. La Léonie mourut aussi.
« La petite fille, elle, grandit très vite. Blonde comme la fiancée secrète, très jolie et pas si bête qu’on l’aurait cru, mais sauvage et muette comme la tombe. Elle n’avait d’échange qu’avec son père, par signes, par gestes ou en lisant sur les lèvres. Vers quatorze ou quinze ans, elle semblait adulte et, comme elle vivait seule avec lui, ça fit pas mal jaser dans le pays.
« Certains ne se privaient pas pour raconter que Martin et sa fille vivaient comme mari et femme. Lui disait qu’il ne pouvait se remarier à cause de la tache rouge. Elle avait pris la taille d’une main et elle était devenue creuse. Il était allé à Sarlat et même à Périgueux, voir de grands médecins qui n’avaient pas pu le guérir.
« Pendant ce temps, les gendarmes étaient venus le voir plusieurs fois. Il avaient fait des rapports et après les avoir lus, le maire et le procureur, ou le préfet, décidèrent d’enlever la fille muette et encore mineure pour la placer chez les sœurs. Martin fut prévenu à temps et il partit avec elle. On fit une grande battue pour les retrouver, mais sans résultat.
« Plusieurs jours après, quelqu’un eut l’idée d’aller voir à la carrière de Lussac. Le cadavre de Martin se trouvait à l’entrée de la galerie, rouge comme si la tache de sa poitrine avait gagné tout son corps. Les gens du pays aidèrent les gendarmes à chercher la fille, mais personne ne la retrouva jamais, ni morte ni vive. »
Cric crac, mon conte est achevé, une vraie histoire.
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