Contes et histoires de Pépé J II (12) (05 déc. 2021) Martin Brazac(1)
Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Le 30 mai dernier, je vous ai parlé d’un livre intitulé « Le vrai goût de la vie » dont l’auteur est Michel Jeury. Il avait écrit une suite à cette histoire dont le titre est : « Une odeur d’herbe folle », publié en 1988. Je ne vous parlerai pas du livre mais je vous dirai seulement un conte que j’en ai extrait, il est narré par La Pierre, mère de Vincent Lerouge, narrateur et personnage principal du livre. Ce conte, c’est l’histoire de Martin Brazac que je vous raconterai en deux fois:
-… Martin Brazac songeait à sa fiancée. C’étaient de bonnes pensées, mais voilà : Martin Brazac n’avait pas de fiancée…
« A qui pensait-il donc ? À une fiancée qui n’existait que dans ses rêves, dans s tête. Ah ! Elle était belle, trop belle pour ce garçon pas très raffiné ni trop bien bâti, mais personne ne le savait puisque personne ne pouvait la voir. Il l’appelait Sara et il s’arrêtait souvent en chemin pour caresser ses longs cheveux blonds ou admirer ses grands yeux bleus. « Sara, ma Sara... »
« Sa mère l’entendait marmonner, elle se retournait et lui faisait signe d’un geste impatient.
« Ce n’est pas le moment de traîner en chemin, mon Martin. Tu ne vois donc pas que le soir tombe et que la neige menace ?
« Martin Brazac ne voyait que les yeux de Sara, son petit nez mignon et sa bouche et son menton. Ce jour-là, sans savoir pourquoi, il pensait plus fort à sa fiancée et il la voyait comme je vous vois, si près qu’il avait presque peur de se cogner la figure contre la sienne.
« Puis elle se mit à marcher devant lui, plus vite, et il courut pour l’attraper. Quand il rejoignit sa mère dans le chemin, elle avait disparu. La Léonie, contente, se hâta davantage.
« Mais ils eurent beau se dépêcher, le mauvais temps allait plus vite encore. Le vent soufflait fort, la neige tombait, le crépuscule gagnait à chaque minute. La Léonie essaya d’allumer sa lanterne.
« - Rien à faire, la neige pénètre partout !
« Martin croyait voir devant lui, de temps en temps, les cheveux blonds de sa fiancée qui dessinaient comme une tache de lumière à travers l’obscurité.
« Ils enfonçaient jusqu’à mi-sabots dans la neige poudreuse. La Léonie dut convenir qu’elle était perdue.
« - Viens de ce côté, dit Martin. Il tira sa mère dans la direction où il avait cru voir la chevelure de Sara et elle le suivit parce qu’elle n’y voyait plus rien.
« - On dirait un temps de fin du monde !
« La neige était de plus en plus épaisse et la nuit de plus en plus noire. La Léonie et son fils marchèrent longtemps, sans reconnaître le pays, sans voir une maison ni même une lumière au loin.
« - À se demander si on n’est pas tombés chez le diable…
« Toujours Martin croyait distinguer par moments une flamme dorée qu’il prenait pour les cheveux de Sara et il guidait sa mère dans cette direction. Ils arrivèrent à une carrière abandonnée et ils se mirent à chercher une galerie pour s’abriter.
« - Je crains qu’on soit obligés de passer la nuit là, dit Léonie.
« - C’est un bon endroit, dit son fils.
« Le flanc de la carrière le protégeait contre le vent et la Léonie put allumer sa lanterne. Ils trouvèrent l’entrée d’une galerie, avec les traces d’un foyer et même un grabat.
« - Ce sont les ouvriers italiens qui vivaient ici quand la carrière était ouverte, expliqua la Léonie.
« Ils se décidèrent à pénétrer malgré l’odeur de pourriture.
« - Il doit y avoir le cadavre d’une assez grosse bête, dit Martin.
« Une fois dedans, l’odeur s’atténuait. Curieux, Martin avança plus loin dans la galerie. Il trouva une huche avec un bon pains bis pas trop vieux et un coffre plein de provisions, du lard, des sardines sèches, des châtaignes… Il hésita à se servir, mais la Léonie lui dit qu’un chemineau avait dû voler tout ça dans le voisinage. Elle fit un signe de croix et décida de partager le butin.
« Était-ce un effet du signe de croix ? Le pain devint dur comme de la pierre et les autres provisions furent toutes rances ou réduites en poussière. La Léonie et son Martin se serrèrent, apeurés, l’un contre l’autre, en gardant leur lanterne allumée. Ils se mirent à manger le quignon de pain et les quelques noix qu’ils avaient sur eux. Dehors, c’était une vraie tempête et la neige s’accumulait, bouchant peu à peu l’entrée de la galerie.
« - On va essayer de dormir, dit la mère.
« Et bientôt, elle ronfla, la tête dans ses mains. Martin ne pouvait pas dormir et il marcha dans la galerie pour se réchauffer. De nouveau, il crut voir briller la chevelure de Sara et il la poursuivit dans l’obscurité. La galerie était plus longue qu’il ne pensait et après avoir tourné deux ou trois fois, il se trouva complètement égaré. Il perdit la tête et appela : Sara ! Sara !
« Il lui sembla qu’elle répondait, loin au fond du tunnel : Martin ! Martin ! Il s’élança pour la rejoindre et en courant dans la nuit noire, il se cogna la tête contre le coin de la galerie et il s’évanouit.
« Un linge mouillé sur la figure le réveilla. Sa mère lui bassinait le front avec un mouchoir imbibé de neige. En ouvrant les yeux, il vit la lueur de l’aube. Il ne s’était pas enfoncé dans la galerie comme il le croyait : il était tout près de l’entrée et il s’était cogné la tête contre un pilier de soutènement.
La suite de l’histoire la semaine prochaine.
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