Suivez-moi, on y va.
Hervé la suit dans un dédale de couloirs. à un moment, ils passent devant une porte simple, la dame se retourne et lui explique que c’est par là qu’on entre et qu’on sort pour les visites, la porte n’est jamais fermée dans la journée. Ils arrivent à une chambre, la dame frappe et ouvre.
– Vous avez de la visite, monsieur Trouvé, claironne-t-elle.
Achille Trouvé est dans un fauteuil et émerge avec peine de sa sieste.
– Qu’est-ce que c’est ? dit-il péniblement.
– Un monsieur qui vient vous voir.
Achille se lève malaisément, encore engourdi et regarde Hervé avec étonnement.
– Qui vous êtes ? demande-t-il.
– Je viens de la part de madame Zélie Lequeuvre, je m’appelle Hervé Magre. C’est elle qui m’a dit que vous étiez ici, à Lamallieu. Je suis désolé de vous déranger.
– Ah, Zélie ! Bien, bien. Excusez-moi, je m’étais assoupi. C’est une brave femme, je pensais faire une sortie un de ces jours et aller la voir. Donc c’est elle qui vous envoie… Mais asseyez-vous, dit Achille en se rasseyant, approchez donc ce fauteuil.
Hervé approche l’autre fauteuil et s’assied en face d’Achille.
– Comment va-t-elle, Zélie ? Vous la connaissez bien ?
– Elle m’a semblé aller bien, pour tout dire nous avons fait La Brémarde – Saint-Lambaire en bus. J’ai fait aussi la connaissance d’Eugène.
– Ah bon, Eugène. Il a toujours son Ferguson ? dit-il en souriant.
– Oui, oui, et j’ai même fait un tour en bennette, cela m’a bien secoué les puces !
– Ah oui, Eugène, Zélie, on est tous les trois à peu près du même âge. Mais moi, je suis venu ici, j’ai pas de famille, pas de maison, je suis encore en bonne santé, je dirais, mais vous savez, à mon âge, il suffit parfois de peu, une chute, on se retrouve à l’hosto, ils ne vous y gardent pas bien longtemps, ils vous trouvent une maison de retraite, la première où il y a une place de libre. Tandis que moi, j’ai ma place ici, je voulais y venir, ma foi c’est comme cela. Chacun sa vie…
– Si vous êtes bien ici, répond Hervé avec un sourire contraint, vous avez sans doute eu raison de…
– La seule chose, je vais vous dire, tiens, c’est la bouffe. Moi, toute ma vie d’adulte j’ai acheté mes légumes sur le marché, mes œufs chez le paysan, ma viande chez mon boucher. Alors qu’ici, c’est rarement franchement mauvais, mais ce n’est jamais bon. Il n’y a que des fois, des goûters d’anniversaire, le personnel ou des bénévoles font des gâteaux. Mais, vous savez, moi, j’ai été gamin dans des centres, alors là, la bouffe, je vous dis pas. Je crois qu’on a parfois bouffé, peut-être pas de la merde, mais de la carne, de la vache enragée. J’aurais tort de me plaindre, quoi. Eh oui, Eugène et Zélie, on se connaissait, gamins, quand j’étais à l’école à La Brémarde. On était pas plus copains que cela, mais quand j’ai eu un métier, je suis revenu les voir. J’allais chez eux, ils me vendaient des œufs, des patates, un poulet, que sais-je. Et je restais manger des fois. C’était bien. Mais comme je vous dis, je vais aller les voir un de ces jours. Vous savez, je prends le bus encore, je me déplace quand je veux. Mais je ne pars jamais que pour une journée. Mon chez-moi, c’est ici maintenant. J’ai passé une bonne partie de ma vie à Saint-Bélié, pas loin d’ici, je me suis choisi cette maison de retraite et je veux garder ma place. Vous savez, j’étais un enfant de l’assistance comme on disait à l’époque. J’étais placé chez des fermiers, puis j’ai été en centre, puis j’ai commencé à travailler, j’ai pris un appartement en location, puis un autre et après j’ai même loué une petite maison. Mais chez moi, comme on pourrait dire chez moi, j’ai jamais été. Jamais j’ai été propriétaire d’une maison ou d’un bout de terrain. Alors, pour quelqu’un comme moi, c’est ici ma maison. Bon, mais je vais pas vous raconter ma vie, pourquoi elle vous envoie, Zélie ?
(à suivre...)
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