Quand même, dit-il la bouche pleine, tu aurais pu me prévenir l’autre soir…
– Et je t’aurais dit quoi ? Que j’ai un Jules qui peut survenir à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ? C’est le genre de truc à faire fuir un homme sensé. Je t’en aurais parlé plus tard…
– Et, au fait, ma veste ?
– Là, dans le sac, j’ai réussi à la planquer sans qu’il ne remarque rien. Tu sais, ce type, c’est difficile à expliquer… il est un peu dingue, et jaloux en plus. C’est très difficile pour moi, il y a près de dix ans que je me le coltine. Je l’ai connu juste après mon divorce, quand je voulais partir m’installer en Bretagne. Il m’a beaucoup aidée, il m’a fait connaître du monde, il a pris des contacts avec des galeries, il m’a trouvé cette maison, il m’a souvent aidée financièrement. Mais il se considère chez moi comme chez lui, il me considère comme sa chose à lui. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir, mais c’est parfois lourd à porter. Je l’aime bien, il est attachant, mais il ne m’a pas laissé le choix, très vite, dès qu’on s’est connus, il a décidé que je devais coucher avec lui.
– Mais vous vivez ensemble ? demande-t-il.
– Non, il vient de temps en temps ici mais il est sur la région parisienne, je n’ai jamais eu son adresse, je n’ai jamais su non plus de quoi il vit. Parfois, il a du fric plein les poches et parfois, il vient ici et me tape un ou deux billets. Ou il me prend un tableau qu’il essaye de vendre je ne sais où. Je ne peux pas le lui refuser, c’est quand même le plus souvent lui qui me dépanne. La peinture, c’est bien, mais pour en vivre, c’est assez difficile…
– C’est lui qui a une petite voiture de sport rouge ?
– Oui, oh, il a toujours des voitures invraisemblables, un jour une américaine, un autre jour un coupé sport, ou une BM machin chose, il est toujours très fier mais moi je n’y connais rien et ça l’énerve un peu. Je ne sais pas d’où lui viennent toutes ces bagnoles. Mais la petite rouge, à mon avis, c’est bien la sienne, je crois que c’est un peu une voiture de collection.
– C’est un cabriolet Fiat des années soixante ou soixante-dix, en effet, jolie petite voiture, mais c’est du Fiat.
– D’accord. En tout cas, samedi soir, je savais qu’il pourrait venir à un moment ou un autre. Mais il est reparti lundi matin, en me disant qu’il allait sur Paris, je ne pensais pas le revoir de suite. Il est très possessif, je me suis demandé s’il avait des soupçons. Il a une manière de tout regarder quand il est là, de voir ce qui a changé de place, de renifler et de chercher, de poser des questions. Mais je crois qu’il n’a pas remarqué ta veste au porte-manteau. Il a fait un tour aux toilettes et j’ai planqué ta veste dans une armoire, vite fait.
– J’espère que tu as eu une pensée pour l’amoureux transi qui se trainait sous la pluie, le cœur en déroute et la bite sous le bras, comme le chantait Brel !
– Plus qu’une pensée, mon cœur.
– Pendant que tu baisais avec l’autre, dit-il brutalement.
– Doucement, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi… D’abord, on n’a pas baisé, comme tu dis, il n’était peut-être pas venu pour cela et l’envie m’en était passée, crois-moi. Mais je t’avouerai que je n’étais pas fière de t’avoir invité chez moi et de te faire terminer la soirée sous la pluie.
– Bien, bien, bien, dit-il. Et on en est où, maintenant nous deux ?
– Primo, on en est pas nulle part, j’espère que tu as compris que je suis amoureuse de toi. Deuxio, tu viens de te décrire comme un amoureux transi, si je ne m’abuse. Tertio, et cela n’est pas acquis, je veux rompre ma relation avec Renato. Cela fait longtemps que je veux le faire, mais maintenant j’ai une bonne raison… et peut-être quelqu’un qui peut m’aider, me soutenir, moralement s’entend. Tout ce que j’attends de toi, c’est ce soutien, une relation privilégiée, mais que cela reste entre nous.
– Ça marche, dit-il en la prenant par les épaules. Si tu avais été un peu plus habillée, je t’aurais proposé d’aller marcher, juste une petite rando apéritive, mais comme cela…
– On passe chez moi, j’ai ma voiture, je me change et on y va…
– Une voiture, cette espèce de punaise écrasée ? Tu ne veux pas me faire monter là-dedans ? dit-il, riant de son air mortifié.
– Si je comprends bien, monsieur est aussi du style BM machin chose et ne roule qu’en limousine, répond-elle sèchement.
(à suivre...)
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