Nous y viendrons, c’est comme vous le dites un brave homme. Mais je dégustais tranquillement des cacahuètes et du whisky lorsque je fus questionné par un monsieur d’au moins soixante-dix ans accompagné de sa femme. Il n’avait pas assisté à la cérémonie, il sortait de la messe. Il avait été instituteur à La Brémarde…
– Instit’ dans l’école laïque devenu cul-bénit à la retraite si je comprends bien, ricana Raymond.
– Mauvaise langue, réplique Hervé.
– Tous ne me l’ont pas dit, mais continuez, nous sommes sur une mauvaise pente…
– Ne m’interrompez pas avec vos insanités, Raymond. Donc cet instit’, comme vous dites, était en poste quand le petit Achille allait à l’école de La Brémarde. Et il a recueilli le témoignage du gamin à l’époque de la mort de Leyden et de la petite Veudenne.
Il raconte la conversation avec l’instituteur. Ensuite, il fait un rapide compte-rendu de la discussion avec Tucaume.
– Mon cher, tout cela est impressionnant, on peut tout supposer. Avez-vous quelque espoir que cet Achille vous recontacte ?
– Bien peu, je le reconnais. De plus, je n’ai pas été assez avisé pour demander les coordonnées de l’instituteur. Il ne reste qu’une seule possibilité : que Tucaume trouve quelque chose.
– Oh ! Ce scribouillard, que voulez-vous qu’il fasse ?
– Je ne veux rien affirmer, mais je lui fais confiance. Son article était parfait, il a respecté mon anonymat, je pense que c’est un honnête homme.
– Je ne sais pas ce qu’est devenu ce journal, le Courrier d’Émeraude. Mais Vergoat, celui qui l’a fondé, était un peu un sale type, un politicien populiste prêt à toutes les compromissions qu’il dénonçait chez les autres. Mais paix à ses cendres, il n’est plus depuis bien longtemps.
– J’ai eu l’occasion de le lire, ne serait-ce que pour voir comment était relatée mon interview. Pour ce qui est de la politique locale, je ne comprends pas trop, je ne connais pas suffisamment le pays et les notables, mais c’est un petit quotidien sans prétention.
– Bien, mon cher Hervé il faut que je vous fasse connaitre quelqu’un. Un homme très intéressant. Non seulement il a une culture générale considérable mais encore c’est un féru d’histoire et de régionalisme. Il s’agit de Monsieur Diliolis, un excellent ami, ancien juge au tribunal de Saint-Lambaire. Il n’est plus tout jeune mais il a une mémoire étonnante, je suis persuadé qu’il vous apprendrait bien des choses sur ce qui s’est passé au moment de la mort de Leyden. Je vais vous le faire rencontrer dès que possible.
– Doucement, Raymond, doucement. Je ne suis pas un enquêteur. Les choses sont venues à moi sans que j’aille les chercher, je viens de passer quelque temps sans qu’il ne se passe rien, je ne vais pas me mettre à remuer ciel et terre pour savoir ce qu’il est advenu il y a plus de cinquante ans. Cela n’intéresse plus personne !
– Bien sûr. Il y a néanmoins une personne que cela intéresse encore, c’est le fameux Achille. Vous lui avez donné la possibilité de raconter son histoire, de soulager son esprit. S’il ne s’en saisit pas, c’est que tout cela est trop lourd pour lui. Mais vous avez cité un nom, permettez que je revienne dessus. Ce nom de Vermorec m’est connu, cela remonte à ma folle jeunesse.
– Vous connaissiez le propriétaire du Bussiau ?
– Pas en tant que propriétaire du Bussiau. Mais vous allez voir, c’est très intéressant. Je crois vous avoir raconté où j’avais acheté ce tableau qui allait devenir votre tableau.
– Je ne me souviens plus très bien, avoue Hervé.
– Je ne pense pas l’avoir précisé, mais j’ai dû vous dire que j’avais acquis ce tableau dans un lot de meubles et de bibelots, à l’occasion d’une succession. Si j’avais été appelé, c’est parce que j’avais connu un des deux héritiers quand j’étais encore au collège. Cet homme n’était pas rancunier car, avec un copain, nous lui avions fait passer un sale quart d’heure, enfermé dans les toilettes puantes de l’internat. Bref, il s’agissait d’Adrien de Vermorec, le fils du baron de Vermorec, gros propriétaire terrien de la région et directeur du Crédit Forestier. Je vous passe les détails, ce qu’il faut retenir, c’est que le tableau était en possession du baron. Vous saviez déjà que c’était lui qui l’avait fait encadrer et je vous confirme que ce tableau était toujours en sa possession au moment de sa mort. Une drôle de famille ces Vermorec. Ils se sont toujours fait donner du monsieur le baron, mais leurs aïeux se sont enrichis fin du dix-huitième, début dix-neuvième. En ces temps troublés, ils se sont attribué une particule, un titre et ce nom de Vermorec qui n’était pas le leur. Avec de l’argent, on trouve toujours des solutions.
(à suivre...)
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