Toujours est-il que le père d’Adrien était fou, fou à lier. Mais qui aurait pu le dire ? Un personnage si honorable, directeur local d’une si puissante banque ! Il a été mis sur la touche par la banque, d’abord placé sur une voie de garage puis mis à la retraite alors qu’il n’avait pas cinquante ans. Ce type était un authentique paranoïaque, il n’était plus invité nulle part car on le savait capable des pires esclandres. Il a fini sa vie seul, dans son petit château. Quant à ses fils, juste deux mots : Adrien, l’ainé, celui qui était à l’internat à St-Servais en même temps que moi, c’est un obsédé sexuel. Je ne plaisante pas. Il a vécu presque toute sa vie reclus chez son parrain, un frère de sa mère. Il ne sortait qu’accompagné car il était capable d’agresser sexuellement des femmes, même dans la rue. Il était dangereux car il ne pouvait pas contrôler ses pulsions. Mais on ne met pas comme cela un baron de Vermorec en hôpital psychiatrique. Je ne sais pas ce qu’il est devenu, je suppose qu’il vit toujours, je ne l’ai pas revu depuis que j’ai acheté le tableau et les meubles.
– Et l’autre frère ?
– Sur lui, pas de commentaire spécial, si je puis dire. Il a été inscrit dans une pension, ailleurs, je ne sais pas où. Il s’est murmuré qu’il n’était pas le fils du baron et que c’est pour cela que le père l’avait envoyé dans un collège lointain. Ce n’était pas un garçon très brillant, je ne crois pas qu’il ait poursuivi des études mais il n’a jamais fait parler de lui. Son prénom me revient, il se prénommait Thierry. Voilà ce que je sais des Vermorec.
– Et ce sale quart d’heure ?
– Oh, ce n’était pas bien grave. Mais Adrien, qui était déjà obsédé par les femmes, nous interpellait en nous appelant « les filles ». Quand je dis nous, je veux dire moi et un grand ami, nous étions des inséparables. En tout bien, tout honneur néanmoins. Nous traiter de filles une fois ou l’autre, cela serait passé, mais il insistait lourdement. Un jour, nous l’avons coincé à la fin de la récré du soir et nous l’avons enfermé dans un chiotte, un chiotte bouché en plus. Nous avons coincé la porte avec une chaise mise en travers de l’étroit couloir. Il a passé la nuit dans ce lieu sordide et a été délivré au petit matin par les premiers élèves qui sont passés par là. Il leur a dit de la boucler et à dater de ce jour, il nous a laissés en paix. Comme je vous l’ai dit, il semble ne pas m’en avoir gardé rancune. Maintenant, vous en savez autant que moi sur les Vermorec.
– Oui et tout cela me laisse rêveur. Ce petit tableau était comme une pelote de laine, j’ai commencé à tirer sur le fil et plus moyen de l’arrêter. Il se fait tard, pardonnez-moi de vous avoir tenu si longtemps.
– Du tout, mon cher Hervé. Et pour fêter nos retrouvailles, allons donc manger une galette bretonne à côté. C’est un endroit pour touristes, mais j’y suis bien connu et nous serons royalement servis.
Depuis son arrivée à St-Lambaire, Hervé n’a pas encore mangé une seule galette, c’est un manque à combler en terre bretonne. Ils se rendent donc dans la crêperie voisine et s’y régalent de galettes et de cidre.
*
L’hiver passe ainsi, doucement, tranquillement. Il continue ses courtes balades, matin et après-midi. Une fois ou l’autre, lorsque le temps est un peu favorable, il fait une randonnée plus longue. Sara l’accompagne parfois. Elle vient le voir régulièrement chez lui, elle a commencé à faire une copie de la petite chaumière. Ils se sont octroyés une nuit entière chez elle et même ensuite une autre, quand elle est sûre et certaine que Renato ne viendra pas. Ce dernier a d’ailleurs espacé ses allées et venues, on pourrait croire qu’il sent que sa présence est bien peu souhaitée.
Tucaume appelle un jour, il n’a rien de neuf, mais il assure qu’il n’oublie pas. Il veut qu’Hervé vienne lui rendre visite, il verra son épouse et ils feront un tour au Bussiau. Hervé tergiverse, il n’est plus guère motivé par toute cette histoire. Il fait la connaissance de Madame Brazeau, la Chef-bibliothécaire de St-Lambert, en se recommandant de Marondeau. Cette dame est conviviale et intéressante. Il se lance dans la lecture, comme prévu il commence par L’itinéraire de Paris à Jérusalem.
Il se rend à Becherel –le village du livre- non loin de Dol et de Combourg avec Sara, pour une manifestation littéraire et artistique. Ils s’y trouvent nez-à-nez avec Frédéric Tucaume en personne, impossible de lui échapper. Il les invite tous deux chez lui le dimanche suivant, pour le déjeuner. Et ils iront au Bussiau ensemble.
(à suivre...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire