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dimanche 15 mai 2022

Contes et histoires de Pépé J II (34) Les sabots de Bethmale

Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. Cette fois je vous parlerai d’un conte de Michel Cosem extrait des « Contes traditionnels des Pyrénées » publié chez Milan en 1994. Cela s’appelle « Les sabots de Bethmale ».

« Les Maures avaient depuis longtemps envahi le pays. Vers eux coulaient toutes les richesses et l’on s’attendait bien à les voir en profiter longtemps. Le chef de la vallée de Bethmale s’appelait Boabdil comme le dernier roi de Grenade dont il était le lointain parent. Son fils, qui s’appelait Boabdil aussi, lui ressemblait comme une goutte d’eau, avec ses yeux noirs, sa peau basanée, ses gestes langoureux. Il n’aimait pas beaucoup se livrer à un quelconque travail et les jeux de la guerre ne l’intéressaient pas. Toute la journé il se promenait dans les prairies fraîches à l’ombre des noisetiers , ou bien, mollement assis sur la rive d’un torrent, il confiait à l’eau ses tendres espérances.

Ce fut pourtant bien par hasard qu’il rencontra la plus jolie fille du pays. Qu’importe son nom ? Appelez-la Jeanne, Marie ou Amélie. Ses moutons attirés par l’herbe fine au bord du torrent la menèrent tout simplement à Boabdil. Quand les deux jeunes gens se virent, lorsque leurs regards se croisèrent, ils tombèrent follement amoureux. Pourtant Jeanne, Marie ou Amélie était déjà fiancée et son fiancé était dans la montagne avec tous les hommes des villages de la vallée qui avaient fui devant les Maures.

Là-haut, dans les forêts profondes, près des étangs gelés et des abîmes vertigineux, ils s’entraînaient au combat, taillant des arcs et des flèches, traquant les ours et les isards. Mais ils passaient aussi une grande partie de leur temps à scruter ce qui se passait dans la vallée.

La belle jeune fille n’hésita pas. Elle se laissa fléchir par la voix douce de Boabdil, ses gestes langoureux et ses rêveries infinies. Elle les préféra au parler rocailleux et abrupt du garçon de la montagne.

Celui-ci ne tarda pas à être averti de la trahison de sa fiancée. Il ne laissa rien paraître de ses sentiments, mais on le vit plus souvent parcourir la montagne, charrier du bois, remuer les blocs. Un matin, il découvrit un noyer déraciné par la tempête. Les racines effilées de l’arbre semblaient vouloir griffer les nuages. Il entreprit de les scier et alla les laver au torrent. Ensuite, il décida de se faire une bonne paire de sabots.

Assis sur une pierre plate qui dominait la vallée et d’où la vue s’étendait à tous les villages, il creusa la racine, polit, tailla et réussit des sabots dont le bout fin comme une aiguille remontait jusqu’aux genoux.

Quelque temps après, tous les bergers vêtus de peaux de moutons, de peaux d’ours ou de loups se rassemblèrent dans la montagne, puis s’élancèrent pareils à l’avalanche dans la vallée. Ils étaient armés d’arcs, de flèches, de lances, d’épées. Les Maures, surpris, essayèrent de fuir mais les bergers ne leur en laissèrent pas la possibilité. Il y eut quelques combats farouches entre les rochers et les troncs d’arbres, dans les rues du village. Le sang coula jusqu’au torrent. Mais le doute n’était plus permis, les bergers étaient victorieux.

Dès le lendemain, les vainqueurs défilèrent dans les rue d’Ayet. A leur tête s’avançait l’ex-fiancé , le visage haut, la poitrine gonflée. Tous les gens rassemblés poussèrent un cri de stupéfaction en le voyant. À chacune des pointes de ses sabots était enfilé un cœur : celui de Boabdil et celui de la plus jolie fille de la vallée qu’il avait séduite.

Maintenant vous savez pourquoi les fiancés de la vallée de Bethmale offrent à leur fiancée une paire de sabots au long bout qu’ils ont eux-mêmes soigneusement façonnés.


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