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jeudi 12 mai 2022

Dernier tableau (76)

 

– Oui, vous savez, à l’époque, il n’y avait que la marche à pied pour nous et le vélo était pour les parents. Il fallait qu’ils lui fassent vraiment confiance pour lui prêter un vélo. Et il est revenu deux jours après, avec le vélo et une somme rondelette pour les vieux qui n’en croyaient pas leurs yeux. Ils lui ont proposé de rester manger avec nous, il a accepté et la vieille a mis les petits plats dans les grands. Il a dit qu’il voulait faire quelque chose pour nous, pour ces enfants qui lui avaient sauvé la vie, disait-il.

– C’était vrai, vous lui aviez sauvé la vie, il n’aurait peut-être pas eu la même chance que moi, dit Hervé.

– Oh oui, sans doute. Et vous, vous avez vraiment eu de la chance puisque vous vous êtes aventuré à la légère. Mais lui, il connaissait la côte et ses dangers depuis son enfance, je ne sais pas comment il a pu se faire avoir comme cela.

– Quel âge aviez-vous quand cela est arrivé ?

– Je venais d’avoir douze ans et Mady allait en avoir quinze. Mais laissez-moi terminer sur monsieur Artur. Il voulait nous offrir, à chacun de nous, un vêtement de dimanche, à Mady une robe et à moi un costume. Il demandait à venir nous chercher un après-midi pour aller à St-Lambaire chez un tailleur. Les parents étaient conviés à venir s’ils le voulaient, il arriverait avec une grosse voiture où l’on tiendrait facilement à cinq. Le père déclina l’offre et nous partîmes donc un après-midi à St-Lambaire. La voiture, je la vois encore, une grosse Buick noire où on aurait tenu à dix. Monsieur Artur conduisait, il avait réussi à descendre le chemin jusqu’au Bussiau. On est allés à St-Lambaire, pas à l’aise dans ce qui nous paraissait être une ville tentaculaire. Chez le tailleur, nous avons dû passer pour ce que nous étions, des paysans. Mais le tailleur a pris nos mesures et il fallut encore pas mal de temps pour se décider sur un modèle de robe pour Mady. Pour moi, les choses étaient plus simples. Monsieur Artur insista pour que j’aie un pantalon et pas des culottes courtes. J’étais aux anges, le pantalon était un signe de maturité et de virilité. Les culottes courtes c’était pour les gamins, le pantalon pour les hommes ! Monsieur Artur nous a ensuite fait entrer dans une pâtisserie où il nous a régalés de gâteaux. Des choses inconnues pour nous. C’est d’ailleurs resté mon péché mignon, comme je vous l’ai dit.

– Il reste le Paris-brest et la religieuse, à ce propos, intervient Hervé. Lequel préférez-vous ?

– Allons, je vous laisse le Paris-brest et je vais manger la religieuse, à défaut de bouffer du curé…


Ils se servent et reprennent chacun du café. Achille reprend :


– Pour nous, tout cela était bien extraordinaire. Monsieur Artur nous ramena au Bussiau et, en présence du père, il fit deux demandes : d’une part, il souhaitait peindre la maison et leur offrir le tableau une fois achevé – cette demande ne souleva aucune objection – et d’autre part il souhaitait faire deux portraits, un de chacun des enfants habillés avec leur futur habit de dimanche. Il offrirait les portraits aux enfants, précisa-t-il. Les vieux semblaient assez hésitants à ce sujet, allez savoir pourquoi. Mais monsieur Artur leva toute objection lorsqu’il expliqua qu’en fait, il faisait des croquis sur place et qu’il réalisait toujours ses peintures en atelier chez lui. Les vieux donnèrent leur accord et monsieur Artur revint quelques jours plus tard avec un carnet. Nous le vîmes de loin dessiner, mais nous ne nous serions pas permis d’aller le déranger, d’autant plus que nous avions toujours quelque corvée à effectuer. Il revint un autre jour et se présenta à la ferme comme nous finissions le repas de midi. Il venait fixer une date pour retourner chez le tailleur. Rendez-vous fut pris pour la semaine suivante et il vint donc nous chercher dans sa grosse voiture. Cette fois, la mère Veudenne ne nous accompagna pas, elle avait à faire déclara-t-elle. Nous revînmes de la ville fort excités, avec les vêtements emballés dans de jolis cartons. Il fut convenu que monsieur Artur reviendrait pour les croquis, il commencerait par Mady. Mais il voulait d’abord terminer le tableau avec la ferme. Il dit qu’il aurait besoin de beaucoup de concentration pour les portraits car ce n’était pas sa spécialité.

– En effet, à ce que je sais, il peignait presqu’exclusivement des marines, dit Hervé.

(à suivre...)

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