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jeudi 6 novembre 2014

Le cabot de Fortunio (18)

Je me force à prendre mon temps avant de l’ouvrir, je pose tranquillement le reste du courrier sur la table, je prends un coupe-papier, j’ouvre la lettre avec soin et je m’assieds pour lire posément :
« Mon Fortunio,
Six mois, c’est long, pourtant ils sont passés bien vite. Il y a tant à faire ici : agrandir l’école, bâtir le dispensaire, faire la classe pour les grands et les moins grands, préparer à manger, ranger, nettoyer… et quelquefois aider l’infirmier, moi qui ai toujours eu horreur de voir du sang, je suis servie. Sans compter que j’aide parfois à égorger des poulets. Et aussi, bien sûr, il y a des dossiers à remplir, surtout ne pas déplaire aux administrations.
Mais enseigner à des gosses qui ont une envie criante d’apprendre, de connaître et de savoir, enseigner aux enfants de parents qui ont le vrai souci de voir leurs enfants accéder aux bases qu’on ne leurs a pas données, tout en gardant leur culture, leur identité et leur liberté, c’est autre chose que ce que j’ai fait jusqu’à présent, enseigner à des gosses de riches dont les parents sont les enfants gâtés de notre petit monde européen déculturé par l’industrie culturelle. Ici, je vis ; là-bas, je survivais dans le long purgatoire des enseignants attendant la retraite comme leur doux pays de Chanaan.
Je suis partie depuis six mois et je t’ai laissé sans aucune nouvelle. Je t’ai écrit très souvent mais j’ai gardé toutes mes lettres. Il ne s’est pas passé un jour sans que je ne pense à toi mais c’était ainsi, il valait mieux attendre.
Dans un mois j’aurai l’occasion de revenir au pays, comme on dit. Le pays ne me manque guère et je serais restée dans mon village africain si ce n’était le désir de te revoir. C’est pourquoi je compte bien sur toi pour m’héberger quelques jours, quelques nuits.
La balle serait-elle dans ton camp ? Maintenant, avec cette lettre, tu as mon adresse.
Eliane qui …
PS : sais-tu qu’ici on a bien besoin d’un maçon ? »

Je l’espérais cette lettre et la voilà enfin. Je reste assis à la relire et la relire encore. Puis je me lève et me sers un petit blanc sec de Duras, manière de faire passer l’émotion sans la briser. La vie est belle, tout va bien et je vais revoir Eliane. Et maintenant, j’ai son adresse, je vais lui écrire. Evidemment pour lui dire que je l’attends. Et avec impatience, cela va de soi. Vite, du papier, une enveloppe, pour le timbre on verra ! Flèche s’approche de moi et pose son museau sur ma jambe, allons mon chien, il va falloir te présenter à Eliane, tu as intérêt à montrer patte blanche !



*
(à suivre...)

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