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jeudi 2 avril 2015

Le cabot de Fortunio (39)

-          Ah ! Fortunio, j’allais t’appeler mais je comprends ton impatience, j’ai été plus que laconique hier soir…
-          Oui, raconte-moi tout maintenant.
-          Voilà : hier vendredi en fin de matinée, quatre gus armés jusqu’aux dents ont débarqué à l’école du village où travaille Eliane. Ils se sont tout de suite emparés d’elle et ont réclamé José, l’infirmier. Quand ils ont su que José s’était absenté, ils ont commencé à embarquer Eliane dans leur Jeep. Un enseignant africain a voulu s’interposer et ils lui ont tiré dessus - le gars est actuellement entre la vie et la mort – avant de déguerpir avec Eliane. Je ne sais rien de plus, il n’y a pas encore eu de revendication. On a contacté l’ambassade qui a contacté les Affaires étrangères qui ont contacté le secrétaire général de l’Elysée qui a contacté le Président qui lui-même ne peut guère s’en remettre qu’au père éternel, enfin tu vois ce que je veux dire… Disons qu’ils ne sont pas très motivés, ils marchent sur des œufs car la région est pour le moins troublée, les rivalités politiques, économiques et religieuses sont nombreuses. De plus, notre organisation caritative est laïque et apolitique donc sans soutiens ou relais. Les politiques sont toujours prêts à se bouger pour faire plaisir à des groupes de pression, les lobbies, mais nous ne pesons rien dans la balance. Ou si peu…
-          Et il n’y a aucun relais sur place ?
-          Il y a bien un agent consulaire à cent-cinquante kilomètres de là et il a d’autres chats à fouetter. La police locale fait certainement ce qu’elle peut. Reste José, l’infirmier du centre de santé, et les responsables locaux. José est un français qui fait partie de notre organisation caritative et les autres, c’est des africains mais faut pas croire qu’ils sont nés de la dernière pluie. Je te dirais que j’ai plus confiance en eux que dans tout le reste.
-          Et alors ? questionné-je avec un à propos déconcertant.
-          Et alors ? Hé hé, on attend que Zorro arrive, bien sûr. Il faut que quelqu’un aille là-bas, quelqu’un d’extérieur pour rassembler toute l’info possible.
-          Donc quelqu’un de C.L. est prêt à partir ? Toi, je suppose…
-          Impossible, je dois rester ici au cas où il y aurait une revendication ou une demande de rançon. Et dans notre conseil d’administration, il n’y a personne qui ait les couilles d’y aller. Mais à mon avis, il n’y a qu’un gars assez motivé et courageux pour cette mission.
-          Ah ! Et qui ça ? demandé-je ingénument.
-          Toi, Fortunio, maçon sans peur sinon sans reproche, chevalier-servant de ma frangine, sorti des égouts de Toulouse[1] comme la vérité qui sort du puits. Tu ne peux pas refuser cela, on a besoin de toi…
-          Qui cela, on ?
-          L’association.
-          Je n’en fais même pas partie, rétorqué-je vertement.
-          Comment cela ? Avec tout le fric que tu as filé, tu es membre honoris causa, in partibus et ad aeternam de l’ONG Caridat Laicica. Et puis, pas de chichis, tu sais bien qu’Eliane est en danger. J’ai besoin de toi, elle a besoin de toi et tu vas tout de même pas nous laisser tomber…
-          Imaginons un instant que je me retrouve là-bas, en pleine cambrousse : je fais quoi ? Je ne sais rien de ce pays, je ne sais même pas quelle langue on y cause, je vais arriver comme un cheveu dans le tajine…
-          Ah bais tu vois, tu connais déjà la cuisine locale. Bon, sérieusement, faut que tu fasses quelque chose. On va te fournir un billet d’avion, des contacts sur place. Tu sais, là-bas, si tu parles français et un peu d’anglais, tu arriveras à te faire comprendre. Il faut que tu sois prêt à partir en début de semaine prochaine. Je m’occupe de la logistique, tu prendras le zinc à Toulouse, on se verra, je t’amènerai à l’aéroport. Allez, je dois raccrocher, réfléchis à tout ça, on se rappelle.
Il a raccroché, le bougre. Bien sûr, il le sait, je suis prêt à tout pour retrouver Eliane. Mais tout de même !
*
(à suivre...)




[1] Voir « Le magot de Fortunio ».

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