Il est sept heures
et demie lorsque j’arrive chez Léon et j’ai la surprise de voir que l’atelier
est ouvert, un gaffet’ en bleu balaie le sol. Il me semble en fait reconnaître
Esther, la blondinette Seccotine avec sa queue de cheval. Appuyée sur son
balai, elle me toise :
-
Il me semble vous
avoir déjà vu, dit-elle avec le sourcil droit en accent circonflexe.
-
Je suis un ami de
Léon, c’est moi qui ai laissé un message hier soir…
-
Ah oui, je vois.
C’est vous qui avez l’habitude de téléphoner à pas d’heure ?
-
Oui et il m’est
arrivé de me faire rembarrer par monsieur Hauler Léon en personne ! Mais
je vous rassure, pas plus d’une fois par an…
-
D’après Hauler Léon,
c’est déjà beaucoup. Il vous aime bien quand même mais là il va falloir
attendre un peu, il a fini un tracteur à trois heures du matin et le
propriétaire va venir le chercher. Il faudra attendre un peu que Léon se
réveille…
-
Je sais qu’il a le
réveil difficile mais j’ai apporté les croissants…
Un gonze, fringué
agricole, arrive sur un cycle antique. Il pose le pied par terre et fait la
bise à Esther. Ils parlent deux minutes puis le rural cul-terreux fixe sa
bécane à l’arrière d’un solide John Deere quatre roues motrices. Il démarre,
fait un demi-tour en souplesse devant l’atelier et s’en va en faisant un grand
sourire.
-
Ça au moins c’est du
tracteur qui braque, m’écrié-je, admiratif.
-
Hors de ma vue,
morpion gluant, œil-de-bouillon-gras, radical-socialiste ! éructe une voix
venue de la fenêtre de la chambre à coucher.
-
Ah non ! Pas
ça ! Tout ce que tu veux mais pas radical-socialiste ! Non mais, j’ai
ma fierté tout de même ! réponds-je avec vivacité.
-
Ah ah ah ah
ah ! Le bel Albert, sacré Fortunio ! Tu as de la chance que ce soit
le tracteur qui m’ait réveillé sinon je te flanquais dans la fosse à merde.
T’as porté les croissants, j’espère ?
-
Ah oui ! Sinon
je n’aurais pas osé me présenter devant vous, messire Léon !
-
Mes cirent les
pompes, oui. Tu connais la maison, va préparer du café et ne drague pas ma
chère et tendre. Le temps de passer là où le roi va à pied et j’arrive !
Esther me regarde en
riant et me fait signe de la suivre. Je fais sortir Flèche puis nous allons
directement dans la cuisine et mettons le petit déjeuner en route. Précédé par
un fracas de chasse d’eau, Léon arrive. Il me balance une claque dans le dos à
me décoller le péritoine dans un rire haulérique qui fait vibrer les carreaux
de la cuisine. Nous nous assoyons autour de la table, je sers le café.
-
Toi, si t’es là
c’est pour me demander quelque chose et pas pour me souhaiter mon anniversaire,
je suppose…
-
Pourquoi, c’est
aujourd’hui ton anniversaire ?
-
Justement non, c’est
dans six mois, raison de plus. Allez, raconte !
-
C’est-à-dire que…
-
Je te préviens tout
de suite, tu peux parler devant madame, elle peut tout entendre !
-
Oui, bon, je ne sais
pas trop par où commencer…
-
Alors, arrête tout
de suite, ça sera plus simple. Quoique… maintenant tu as éveillé ma curiosité à
force de tergiverser.
(à suivre...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire