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dimanche 27 septembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (3)

Lectrices et lecteurs, bonjour. Le 20 juillet, la canicule était déjà soupçonnée d’avoir tué 700 personnes en France. Dans notre pays, on peut mourir pour de multiples raisons mais il faut le faire de manière statistiquement correcte. Celui qui meurt sans une cause établie par les statisticiens risque d’être classifié parmi les sans opinions, les blancs ou nuls. Par temps chaud, ou bien on meurt de chaud ou bien on meurt de soif mais une responsable est identifiée : la canicule.
Canicule ! Que de bêtises sont proférées en ton nom ! L’autre jour, une dame âgée s’occupait de ses fleurs devant sa porte quand un couple de bourgeois épais, quoique moyens, l’interpelle en lui demandant si elle pensait à boire suffisamment. Ce couple avait vu le journal télévisé où ils avaient regardé, après un reportage sur des noyés à Lampedusa, un autre reportage sur la canicule, les vieux et l’injonction qui leur est faite de boire de l’eau. Et une bonne manière de se donner bonne conscience est d’oublier bien vite les migrants puis de morigéner les vieux qui ne se gavent point d’eau. Mais de quoi se mêlent-ils ces petits moyens épais bourgeois, me demanderez-vous ? Eh bien, répondrais-je, ils se mêlent de ce que les stupides chaînes de télévision leur disent de faire et, stupidement, ils font leur stupide bonne action. C’est ce que l’on appelle de la philanthropie de proximité
Pour nos statisticiens, si le décès d’un vieux par déshydratation est imputable à la canicule, un vieux mort par excès de boisson sera tout autant attribué à la canicule. De même si une personne âgée décède des suites de passages fréquents de lieux climatisés à des lieux à température ambiante, ce sera encore la canicule. Il est déconseillé de mourir de mort naturelle lorsque le thermomètre excède les trente-cinq degrés et on constate que grâce à tous ces décès caniculaires, mathématiquement, les statistiques de décès par cancer baissent de manière non négligeable. Les vieux n’ont plus le droit d’avoir chaud ou froid ou soif ou faim, ils se doivent de mourir pour des raisons clairement identifiées sous peine de voir leur décès remis à une date ultérieure : que diable ! Il y a un Ministère de la Santé qui veille sur eux, sur les revenus des marchands de médicaments et sur ceux des actionnaires des maisons de retraite. La santé, même quand on est vieux, n’est pas une sorte de luxe gratuit que chacun pourrait avoir sur soi. La santé, c’est une activité régulée, tarifée et obligatoire. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, peu importe, chacun doit avoir une santé et être prêt à la présenter à toute réquisition de l’autorité compétente. Tout écart de santé doit être soigné par des méthodes testées, approuvées et taxées. Il est hors de question de cacher une maladie à son médecin, cela entraînerait un manque à gagner pour les spécialistes de la question. Et donc, il est interdit de souffrir en silence. Et il est surtout interdit d’avoir l’air de mourir avant l’heure lorsqu’on passe les quatorze ou quinze lustres.
Ah ! Où est-il le bon vieux temps où l’on était jeune et qu’on ne se vantait pas de s’être blessé ici ou là, de peur de ne pas pouvoir partir avec les copains ; où l’on ne disait pas qu’on avait un rhume de peur de devoir garder le lit ; et où l’on serrait les fesses comme les dents en cas de diarrhée de peur d’être médicalement privé de dessert ? Le temps où l’on se couchait à cinq heures du mat’ et où on se levait à six heures et demie pour aller au boulot sans piper ? Ah, la belle insouciance où on ne se doutait pas que notre santé insolente était surveillée d’un œil protubérant par les statisticiens et les marchands de santé !

On voit par-là qu’il ne faut jamais dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau ». 

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