Lectrices et lecteurs, bonjour. Le 20 juillet, la
canicule était déjà soupçonnée d’avoir tué 700 personnes en France. Dans notre
pays, on peut mourir pour de multiples raisons mais il faut le faire de manière
statistiquement correcte. Celui qui meurt sans une cause établie par les
statisticiens risque d’être classifié parmi les sans opinions, les blancs ou
nuls. Par temps chaud, ou bien on meurt de chaud ou bien on meurt de soif mais
une responsable est identifiée : la canicule.
Canicule !
Que de bêtises sont proférées en ton nom ! L’autre jour, une dame âgée
s’occupait de ses fleurs devant sa porte quand un couple de bourgeois épais,
quoique moyens, l’interpelle en lui demandant si elle pensait à boire
suffisamment. Ce couple avait vu le journal télévisé où ils avaient regardé,
après un reportage sur des noyés à Lampedusa, un autre reportage sur la canicule,
les vieux et l’injonction qui leur est faite de boire de l’eau. Et une bonne
manière de se donner bonne conscience est d’oublier bien vite les migrants puis
de morigéner les vieux qui ne se gavent point d’eau. Mais de quoi se mêlent-ils
ces petits moyens épais bourgeois, me demanderez-vous ? Eh bien, répondrais-je,
ils se mêlent de ce que les stupides chaînes de télévision leur disent de faire
et, stupidement, ils font leur stupide bonne action. C’est ce que l’on appelle
de la philanthropie de proximité
Pour nos statisticiens,
si le décès d’un vieux par déshydratation est imputable à la canicule, un vieux
mort par excès de boisson sera tout autant attribué à la canicule. De même si
une personne âgée décède des suites de passages fréquents de lieux climatisés à
des lieux à température ambiante, ce sera encore la canicule. Il est
déconseillé de mourir de mort naturelle lorsque le thermomètre excède les trente-cinq
degrés et on constate que grâce à tous ces décès caniculaires,
mathématiquement, les statistiques de décès par cancer baissent de manière non
négligeable. Les vieux n’ont plus le droit d’avoir chaud ou froid ou soif ou faim,
ils se doivent de mourir pour des raisons clairement identifiées sous peine de
voir leur décès remis à une date ultérieure : que diable ! Il y a un
Ministère de la Santé qui veille sur eux, sur les revenus des marchands de
médicaments et sur ceux des actionnaires des maisons de retraite. La santé,
même quand on est vieux, n’est pas une sorte de luxe gratuit que chacun
pourrait avoir sur soi. La santé, c’est une activité régulée, tarifée et
obligatoire. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, peu importe, chacun doit avoir une
santé et être prêt à la présenter à toute réquisition de l’autorité compétente.
Tout écart de santé doit être soigné par des méthodes testées, approuvées et
taxées. Il est hors de question de cacher une maladie à son médecin, cela
entraînerait un manque à gagner pour les spécialistes de la question. Et donc,
il est interdit de souffrir en silence. Et il est surtout interdit d’avoir
l’air de mourir avant l’heure lorsqu’on passe les quatorze ou quinze lustres.
Ah ! Où est-il le bon vieux temps où l’on était jeune et qu’on ne
se vantait pas de s’être blessé ici ou là, de peur de ne pas pouvoir partir
avec les copains ; où l’on ne disait pas qu’on avait un rhume de peur de
devoir garder le lit ; et où l’on serrait les fesses comme les dents en
cas de diarrhée de peur d’être médicalement privé de dessert ? Le temps où
l’on se couchait à cinq heures du mat’ et où on se levait à six heures et demie
pour aller au boulot sans piper ? Ah, la belle insouciance où on ne se
doutait pas que notre santé insolente était surveillée d’un œil protubérant par
les statisticiens et les marchands de santé !
On voit par-là qu’il ne faut jamais dire : « Fontaine, je ne
boirai pas de ton eau ».
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