Lectrices et lecteurs, bonjour. En politique, pour réussir, il faut avoir des idées. Sans toutefois
confondre idées et convictions, il importe d’être en mesure de prouver qu’on
pense. Mais avoir des idées, cela ne va pas de soi et l’on voit de nos jours
que c’est un métier à part entière : auparavant, tout un chacun pouvait
avoir des idées, les garder dans son coin ou les partager, maintenant il y a
des professionnels pour cela. Comme toutes les choses neuves, cette pratique
nous vient des Etats-Unis, comme son nom l’indique, puisqu’on parle de think
tank, ce qui signifie en français « réservoir de pensée ». Ce sont à
proprement parler des boîtes à idées remplies par des techniciens de la pensée.
Exit nos décathloniens de la pensée à la française, capables d’avoir des idées
sur tout, de la littérature au sport en passant par la politique, spécialistes
toutes spécialités, tout à la fois universitaires et chercheurs, commentateurs
et producteurs, conseillers occultes et académiciens autant que prophètes
télégéniques ; place à l’ingénierie de la pensée et aux techniciens des
idées. De quelque bord politique que vous soyez, ils peuvent vous fournir un
prêt-à-penser adapté à tout électorat.
Mais il ne faut pas croire que l’on peut
fabriquer des idées comme s’il en pleuvait : il s’agit d’un travail comme
un autre, il faut creuser, chercher du matériau, le travailler et le régurgiter
sous forme de rapports, d’études et d’articles. Et où chercher ce
matériau sinon dans les têtes et les cœurs des électeurs ? En lançant
des enquêtes et des sondages, en posant des questions judicieusement orientées
à des échantillons dits représentatifs. C’est ainsi que, dernièrement, j’ai lu
dans les pages d’un grand quotidien national un article
intitulé : « Jusqu’où ira la colère des classes moyennes contre
les politiques ? », écrit par les directeurs généraux associés d’un
think tank français spécialisé dans la détection d’insights. Pour cette
enquête, ils ont récolté 1382 contributions enregistrées auprès d’un
échantillon représentatif des classes moyennes. La synthèse de ces
contributions est dite « éclairée par des verbatim des participants ».
Alors, on peut tout de même se poser au
moins deux questions : quelles sont ces classes moyennes dont on nous
parle tant et comment peut-on être représentatif ? En effet, comment
reconnaître au premier coup d’œil dans la rue un représentant des classes moyennes ?
Car dans leur étude, telle qu’elle est présentée, les verbatim sont signés de
nom étranges tels que Nad, Asterix,
lolo16, arkom, Surfie, devachris et Titof, il y a heureusement dans cette
liste une Sandrine, un Jordan et une Maelle qui me font penser qu’il y avait
bien quelques français dans le tas. Eh bien, en bas de page, on a la réponse :
l’échantillon est composé de 156 personnes dont le revenu foyer net mensuel est
entre 1 800 et 2 400 Euro pour une personne seule et de 2 400 à
5 000 Euro pour un couple, qui sont des hommes et des femmes âgés de 18 à
65 ans dont 34% de 18-25 ans. Parmi eux, il y a 90% d’actifs dont 80% issus du secteur privé et 20% issus du
secteur public, 8% de chômeurs, 5% d’étudiants et 5% de retraités, en outre ils
s’étaient abstenus pour 30% d’entre eux aux élections départementales 2015 et
ils sont pour 55% sympathisants de gauche et 45% de droite. Après tant de
chiffres, on peut penser qu’on va apprendre des choses extraordinaires mais les
verbatim et les commentaires sont d’une banalité telle qu’elle paraît
étonnante. Autant que la réponse qui ressort de l’analyse faite par nos
techniciens du réservoir de pensée libre, à savoir : la colère des classes
moyennes pourrait aller jusqu’à les faire peut-être éventuellement voter pour
la candidate d’extrême droite. Voilà qui est surprenant et il fallait bien des
personnages aussi composites que nos représentatifs pour l’exprimer à la face
du monde. Si vous croisez l’un d’entre eux dans la rue, vous pourrez vous
écrier comme Cyrano :
« L’animal
seul, Monsieur, qu’Aristophane appelle hippocampéléphantocamélos / Dut avoir
sur le front tant de chair et tant d’os. »
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