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dimanche 15 novembre 2015

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (9)

Lectrices et lecteurs, bonjour. En politique, pour réussir, il faut avoir des idées. Sans toutefois confondre idées et convictions, il importe d’être en mesure de prouver qu’on pense. Mais avoir des idées, cela ne va pas de soi et l’on voit de nos jours que c’est un métier à part entière : auparavant, tout un chacun pouvait avoir des idées, les garder dans son coin ou les partager, maintenant il y a des professionnels pour cela. Comme toutes les choses neuves, cette pratique nous vient des Etats-Unis, comme son nom l’indique, puisqu’on parle de think tank, ce qui signifie en français « réservoir de pensée ». Ce sont à proprement parler des boîtes à idées remplies par des techniciens de la pensée. Exit nos décathloniens de la pensée à la française, capables d’avoir des idées sur tout, de la littérature au sport en passant par la politique, spécialistes toutes spécialités, tout à la fois universitaires et chercheurs, commentateurs et producteurs, conseillers occultes et académiciens autant que prophètes télégéniques ; place à l’ingénierie de la pensée et aux techniciens des idées. De quelque bord politique que vous soyez, ils peuvent vous fournir un prêt-à-penser adapté à tout électorat.
Mais il ne faut pas croire que l’on peut fabriquer des idées comme s’il en pleuvait : il s’agit d’un travail comme un autre, il faut creuser, chercher du matériau, le travailler et le régurgiter sous forme de rapports, d’études et d’articles. Et où chercher ce matériau sinon dans les têtes et les cœurs des électeurs ? En lançant des enquêtes et des sondages, en posant des questions judicieusement orientées à des échantillons dits représentatifs. C’est ainsi que, dernièrement, j’ai lu dans les pages d’un grand quotidien national un article intitulé : « Jusqu’où ira la colère des classes moyennes contre les politiques ? », écrit par les directeurs généraux associés d’un think tank français spécialisé dans la détection d’insights. Pour cette enquête, ils ont récolté 1382 contributions enregistrées auprès d’un échantillon représentatif des classes moyennes. La synthèse de ces contributions est dite « éclairée par des verbatim des participants ».
Alors, on peut tout de même se poser au moins deux questions : quelles sont ces classes moyennes dont on nous parle tant et comment peut-on être représentatif ? En effet, comment reconnaître au premier coup d’œil dans la rue un représentant des classes moyennes ? Car dans leur étude, telle qu’elle est présentée, les verbatim sont signés de nom étranges tels que Nad, Asterix, lolo16, arkom, Surfie, devachris et Titof, il y a heureusement dans cette liste une Sandrine, un Jordan et une Maelle qui me font penser qu’il y avait bien quelques français dans le tas. Eh bien, en bas de page, on a la réponse : l’échantillon est composé de 156 personnes dont le revenu foyer net mensuel est entre 1 800 et 2 400 Euro pour une personne seule et de 2 400 à 5 000 Euro pour un couple, qui sont des hommes et des femmes âgés de 18 à 65 ans dont 34% de 18-25 ans. Parmi eux, il y a 90% d’actifs dont  80% issus du secteur privé et 20% issus du secteur public, 8% de chômeurs, 5% d’étudiants et 5% de retraités, en outre ils s’étaient abstenus pour 30% d’entre eux aux élections départementales 2015 et ils sont pour 55% sympathisants de gauche et 45% de droite. Après tant de chiffres, on peut penser qu’on va apprendre des choses extraordinaires mais les verbatim et les commentaires sont d’une banalité telle qu’elle paraît étonnante. Autant que la réponse qui ressort de l’analyse faite par nos techniciens du réservoir de pensée libre, à savoir : la colère des classes moyennes pourrait aller jusqu’à les faire peut-être éventuellement voter pour la candidate d’extrême droite. Voilà qui est surprenant et il fallait bien des personnages aussi composites que nos représentatifs pour l’exprimer à la face du monde. Si vous croisez l’un d’entre eux dans la rue, vous pourrez vous écrier comme Cyrano :

« L’animal seul, Monsieur, qu’Aristophane appelle hippocampéléphantocamélos / Dut avoir sur le front tant de chair et tant d’os. »

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