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jeudi 12 novembre 2015

Le cabot de Fortunio (71)

La discussion continue donc ainsi puis nous partons sur d’autres sujets et Esther nous ramène à Clermont en fin d’après-midi. Elle me propose de manger un morceau avant de repartir sur Marmande, ce que j’accepte volontiers. Je repars ensuite chez moi où nous arrivons, Flèche et moi, un peu avant minuit.
J’ai un coup au cœur en arrivant : il y a un certain bordel devant chez moi, mes bottes, qui étaient devant la porte, sont suspendues à la lumière extérieure ; des seaux sont renversés ; une guirlande de papier-cul rose orne mon entrée, et j’en passe. Une fois la première émotion passée – j’ai cru qu’on avait une fois encore forcé ma porte, ce qui n’est pas le cas – je remets les choses en place en me demandant qui a pu vouloir ainsi marquer son passage. Cela pourrait être un coup de mes ouvriers mais je pense qu’ils auraient fait bien pire s’ils avaient voulu me faire un coup fumant. J’ai bien des copains dans le coin mais je ne vois vraiment pas. C’est pas Dingley, pas son genre. Livron encore moins…
Je me mets en devoir de ranger sommairement puis je mets la clé dans la serrure, j’ouvre la serrure et saisis la poignée. De la graisse au dos de la poignée. De la graisse, enfin, du cambouis bien noir… Salopard(s), éructé-je. Je vais au robinet extérieur pour me laver la main graisseuse, il y a aussi de la graisse sur le tourillon du robinet, rebelote. Là, tout s’éclaire en s’opacifiant : le seul emmanché capable de cela, c’est René. Putain ! René-la-Science, l’homme qui tombait à pic et qui parlait à l’oreille des banquiers.[1]
 Ça c’est clair. René est passé. Ce qui est moins clair, c’est que nos relations sont assez distendues depuis quelques années. Pour ne pas dire inexistantes. La dernière fois qu’on aurait pu se rencontrer, j’ai préféré l’éviter. Donc, je le trouve un peu gonflé de se pointer chez moi sans crier gare. Enfin, si c’est bien lui.
Je prends un bout de chiffon, je m’essuie les mains, j’essuie le robinet, la poignée de porte et j’entre. La maison respire la tranquillité ; je remplis la gamelle de Flèche avant de me mettre aux plumes où je m’endors illico.
*
Eh bien voilà, c’était mardi et je ne suis pas plus avancé dans ma réflexion qu’hier soir. Une chose est certaine : je ne peux pas dire à Livron tout ce que je pense, je ne peux pas le mouiller au-delà d’une certaine limite. Et lui aussi me dira de faire un dossier en béton sur les tueurs puis de mettre les flics sur le coup. Ouais, ruminé-je.
Ce qui est sûr, c’est qu’il faut trouver une arme. Un flingue, quelque chose qui me permette au moins de me défendre. Et pour ça, j’ai mon idée : il y a le tonton. Le tonton à Eliane. En principe, il doit toujours avoir un browning, son souvenir d’Algérie. Moi j’ai balancé celui du père d’Eliane à la Garonne, après utilisation, mais d’après ce que m’a raconté Eliane, il a toujours le sien. Reste à le convaincre de me le refiler. Mais pour cela, il faut repartir sur la ville rose…

(à suivre...)

[1] cf. « René-la-Science », roman, même auteur et même largeur.

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