La discussion continue donc ainsi puis nous partons sur d’autres sujets
et Esther nous ramène à Clermont en fin d’après-midi. Elle me propose de manger
un morceau avant de repartir sur Marmande, ce que j’accepte volontiers. Je repars
ensuite chez moi où nous arrivons, Flèche et moi, un peu avant minuit.
J’ai un coup au cœur en arrivant : il y a un certain bordel devant
chez moi, mes bottes, qui étaient devant la porte, sont suspendues à la lumière
extérieure ; des seaux sont renversés ; une guirlande de papier-cul
rose orne mon entrée, et j’en passe. Une fois la première émotion passée – j’ai
cru qu’on avait une fois encore forcé ma porte, ce qui n’est pas le cas – je
remets les choses en place en me demandant qui a pu vouloir ainsi marquer son
passage. Cela pourrait être un coup de mes ouvriers mais je pense qu’ils
auraient fait bien pire s’ils avaient voulu me faire un coup fumant. J’ai bien
des copains dans le coin mais je ne vois vraiment pas. C’est pas Dingley, pas
son genre. Livron encore moins…
Je me mets en devoir de ranger sommairement puis je mets la clé dans la
serrure, j’ouvre la serrure et saisis la poignée. De la graisse au dos de la
poignée. De la graisse, enfin, du cambouis bien noir… Salopard(s), éructé-je.
Je vais au robinet extérieur pour me laver la main graisseuse, il y a aussi de
la graisse sur le tourillon du robinet, rebelote. Là, tout s’éclaire en
s’opacifiant : le seul emmanché capable de cela, c’est René. Putain !
René-la-Science, l’homme qui tombait à pic et qui parlait à l’oreille des
banquiers.[1]
Ça c’est clair. René est passé.
Ce qui est moins clair, c’est que nos relations sont assez distendues depuis
quelques années. Pour ne pas dire inexistantes. La dernière fois qu’on aurait
pu se rencontrer, j’ai préféré l’éviter. Donc, je le trouve un peu gonflé de se
pointer chez moi sans crier gare. Enfin, si c’est bien lui.
Je prends un bout de chiffon, je m’essuie les mains, j’essuie le
robinet, la poignée de porte et j’entre. La maison respire la
tranquillité ; je remplis la gamelle de Flèche avant de me mettre aux
plumes où je m’endors illico.
*
Eh bien voilà, c’était mardi et je ne suis pas plus avancé dans ma
réflexion qu’hier soir. Une chose est certaine : je ne peux pas dire à
Livron tout ce que je pense, je ne peux pas le mouiller au-delà d’une certaine
limite. Et lui aussi me dira de faire un dossier en béton sur les tueurs puis
de mettre les flics sur le coup. Ouais, ruminé-je.
Ce qui est sûr, c’est qu’il faut trouver une arme. Un flingue, quelque
chose qui me permette au moins de me défendre. Et pour ça, j’ai mon idée :
il y a le tonton. Le tonton à Eliane. En principe, il doit toujours avoir un
browning, son souvenir d’Algérie. Moi j’ai balancé celui du père d’Eliane à la
Garonne, après utilisation, mais d’après ce que m’a raconté Eliane, il a
toujours le sien. Reste à le convaincre de me le refiler. Mais pour cela, il
faut repartir sur la ville rose…
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