En vedette !

dimanche 21 février 2016

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (22)



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. « L’orthographe est la science des ânes ».
Ainsi parlait Sara Toussetra en me rendant quatre-vingt cents de monnaie tout en lorgnant sur le titre de mon quotidien régional. Comme il ne peut être question de mettre en doute une vérité assénée par cette judicieuse commerçante, j’opinai du chef et sortis en le couvrant de ma nouvelle casquette. Inutile de vous dire que cette déclaration m’avait laissé rêveur.
Pour moi qui n’avais pas plus la bosse des maths que je n’étais fort en thème, l’orthographe était un peu mon refuge, ma bouée de secours. Je dirais que, sans être toutefois un Mérimée ou un Pivot, je tirais honorablement mon épingle du jeu ; cela fut mon seul maigre titre de gloire au jour de la distribution des prix. C’est donc avec une tristesse non dissimulée que je vois disparaître certains gentils petits pièges de notre langue ainsi que cet ornement si gracieux appelé accent circonflexe, léger chapeau protégeant nos voyelles par temps de postillons.
Cette réforme ayant suscité une telle levée de boucliers, je n’ajouterai pas mon écu aux autres, les langues vivantes évoluent pour ne pas mourir. Ce qui est intéressant, c’est de voir que notre langue change sans se soucier des contraintes réglementaires et que ceux qui veulent la domestiquer sont toujours à la traîne ou à côté de la plaque. A ma droite, l’Académie qui freine des quatre fers, au centre le gouvernement qui légifère et à ma gauche les fabricants de dictionnaires, toujours avides de démagogie, qui glissent dans leurs colonnes quelques expressions de verlan des cités pour se faire bien voir des bobos et des zélateurs des banlieues. Finalement, ceux qui veulent nous imposer leur langue se considèrent comme des dominants, qu’ils soient en habit vert, écharpés de tricolore ou rappeurs casquettés à l’envers. La bataille pour l’orthographe est une partie de la bataille des idées. L’alliance entre ces trois groupes conduit à créer une culture hégémonique bâtarde issue de la bourgeoisie et mâtinée par la langue des cités. Le meilleur exemple de cette domination est bien l’entrée de l’expression « triple A », instrument de la dictature de la finance sur le monde d’une part, et celle de la « beuh » outil de l’empire de la drogue et de ses suppôts d’autre part.
 La langue parlée prend des libertés qui déteignent sur la langue écrite. L’argot et les jargons ont enrichi notre langue en dépit des censeurs et des puristes. Parce qu’ils apportaient une description de notre univers plus imagée ou plus précise. Mais le temps et l’usage font le tri mieux que les lexicographes. Au tribunal de la langue, on voit des légistes, des juristes, des procureurs et des avocats, on s’empoigne, on se fâche et on se perce ; on argumente, on tergiverse, on atermoie et on radote mais pendant ce temps-là, la langue court toujours, jamais vous ne la rattraperez. Continuez donc, vous autres, pendant vous pérorez les croquants se parlent et se comprennent. Comme le disait Claude Duneton, l’État français a tout fait pour tuer les langues des territoires tombés dans son giron et dans la foulée, il a châtré sa propre langue en la privant de sa sève, de ses racines populaires.
On voit par-là que le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire