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dimanche 17 avril 2016

Chroniques de Serres et d’ailleurs. (30)



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Donc, nous y sommes enfin, la première nouvelle région de France a trouvé son nom et elle n’y est pas allée avec le haut de la cuillère : elle devient la région Hauts-de-France, suivant une vision très vidaldelablachienne de la France vue comme le centre du monde et qui veut que le nord soit plus haut que le sud, comme à l’école primaire. Bien sûr, les élus ont choisi après avoir sondé des échantillons de citoyens dits représentatifs mais on peut supposer qu’ils n’ont pas tiré un tel nom d’un chapeau même s’ils sont quelque peu illusionnistes. Et pourquoi se fatiguer à travailler du chapeau quand d’autres peuvent le faire pour vous ? Car il ne manque pas d’agences de ce que les gens compétents appellent marketing territorial, agences qui contre une légère rémunération pondent de fantastiques rapports sur les moyens de développer l’attractivité et la communication des territoires petits ou grands. Et donc le gouvernement, avec ses réformes dans tous les coins, offre à ces agences des opportunités considérables de fantasmer sur l’image, la tradition, les paysages et le folklore local des territoires français afin d’émettre de flatulents dossiers qui permettront aux élus de donner de nouveaux noms aux régions et aux communautés de communes. Cela n’est-il pas admirable ?
Mais intéressons-nous un peu plus à ces agences. On peut trouver sur l’internet un florilège de leurs plus géniales inventions, je me contenterai de citer une de ces agences qui, à propos d’une de nos ex-régions, parle d’exotisme de proximité. Cet exemple est fort intéressant car on voit dans une telle expression le goût de nos marketeurs pour le paradoxe et même pour l’oxymoron. J’aurais tendance à penser que cela leur permet de se prendre pour Héraclite en même temps que les pieds dans le tapis mais c’est une idée purement personnelle. Un autre de ces marketeurs déclare que « les messieurs Jourdan (sic) du marketing territorial étaient et sont encore nombreux ». Il est difficile de savoir s’il veut parler du monsieur Jourdan, petit santon provençal, ou du monsieur Jourdain, bourgeois gentilhomme qui faisait de la prose sans le savoir : gageons que les Bouvard et Pécuchet du marketing territorial étaient et sont eux aussi légion. Une bonne pratique du M.T. est aussi l’usage d’un jargon jargonnant propre à épater les gogos et une de leurs expressions chéries est benchmarking, mot qui veut dire que l’on va aller piquer des bonnes idées chez les concurrents. Exprimé en anglais, cela sonne toujours mieux mais nos experts disposent aussi de synonymes en français tels qu’étalonnage, référenciation ou parangonnage. De plus, asséner tout un discours abscons – pour ne pas utiliser un mot plus court –, illustré de graphes, de graphiques de flèches et de pseudo-équations est le meilleur moyen de créer du mutisme par excès de communication. Pour parler simple, les méchantes langues diront que c’est le meilleur moyen de parler pour ne rien dire. Mais pas pour des clopinettes, bien sûr. Les élus ont de l’argent, les marketeurs se sentent obligés de les aider à le dépenser.
Mais foin de toute cette cuisine qui fait les beaux jours – et la bonne fortune – de jeunes cadres cuistro-dynamiques et revenons aux noms de nos territoires. J’avais déjà proposé il y a peu de temps de neutraliser provisoirement ces barbarismes nouveaux en attribuant simplement des numéros à nos régions comme on l’a fait pour nos départements et de tirer au sort les numéros sans devoir attribuer le numéro treize puisque l’ile de France gardera son nom. Puis, au fil du temps, des noms apparaîtraient naturellement, gracieux comme des noms de fleurs ou de rivières sans que des élus peu soucieux de notre culture s’en mêlent.
On voit par-là que pendant que les uns benchmarkent, les autres sont au boulot. Faut bien que l’économie continue à tourner.

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