Auditrices
et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Donc, nous y sommes enfin, la première nouvelle
région de France a trouvé son nom et elle n’y est pas allée avec le haut de la
cuillère : elle devient la région Hauts-de-France, suivant une vision très
vidaldelablachienne de la France vue comme le centre du monde et qui veut que
le nord soit plus haut que le sud, comme à l’école primaire. Bien sûr, les élus
ont choisi après avoir sondé des échantillons de citoyens dits représentatifs
mais on peut supposer qu’ils n’ont pas tiré un tel nom d’un chapeau même s’ils
sont quelque peu illusionnistes. Et pourquoi se fatiguer à travailler du
chapeau quand d’autres peuvent le faire pour vous ? Car il ne manque pas
d’agences de ce que les gens compétents appellent marketing territorial,
agences qui contre une légère rémunération pondent de fantastiques rapports sur
les moyens de développer l’attractivité et la communication des territoires petits
ou grands. Et donc le gouvernement, avec ses réformes dans tous les coins,
offre à ces agences des opportunités considérables de fantasmer sur l’image, la
tradition, les paysages et le folklore local des territoires français afin
d’émettre de flatulents dossiers qui permettront aux élus de donner de nouveaux
noms aux régions et aux communautés de communes. Cela n’est-il pas
admirable ?
Mais
intéressons-nous un peu plus à ces agences. On peut trouver sur l’internet un
florilège de leurs plus géniales inventions, je me contenterai de citer une de
ces agences qui, à propos d’une de nos ex-régions, parle d’exotisme de proximité. Cet exemple est fort intéressant car on voit
dans une telle expression le goût de nos marketeurs pour le paradoxe et même
pour l’oxymoron. J’aurais tendance à penser que cela leur permet de se prendre
pour Héraclite en même temps que les pieds dans le tapis mais c’est une idée
purement personnelle. Un autre de ces marketeurs déclare que « les
messieurs Jourdan (sic) du marketing territorial étaient et sont encore
nombreux ». Il est difficile de savoir s’il veut parler du monsieur
Jourdan, petit santon provençal, ou du monsieur Jourdain, bourgeois gentilhomme
qui faisait de la prose sans le savoir : gageons que les Bouvard et
Pécuchet du marketing territorial étaient et sont eux aussi légion. Une bonne
pratique du M.T. est aussi l’usage d’un jargon jargonnant propre à épater les
gogos et une de leurs expressions chéries est benchmarking, mot qui veut dire que l’on va aller piquer des bonnes
idées chez les concurrents. Exprimé en anglais, cela sonne toujours mieux mais
nos experts disposent aussi de synonymes en français tels qu’étalonnage,
référenciation ou parangonnage. De plus, asséner tout un discours abscons –
pour ne pas utiliser un mot plus court –, illustré de graphes, de graphiques de
flèches et de pseudo-équations est le meilleur moyen de créer du mutisme par
excès de communication. Pour parler simple, les méchantes langues diront que
c’est le meilleur moyen de parler pour ne rien dire. Mais pas pour des
clopinettes, bien sûr. Les élus ont de l’argent, les marketeurs se sentent
obligés de les aider à le dépenser.
Mais
foin de toute cette cuisine qui fait les beaux jours – et la bonne fortune – de
jeunes cadres cuistro-dynamiques et revenons aux noms de nos territoires. J’avais
déjà proposé il y a peu de temps de neutraliser provisoirement ces barbarismes
nouveaux en attribuant simplement des numéros à nos régions comme on l’a fait
pour nos départements et de tirer au sort les numéros sans devoir attribuer le
numéro treize puisque l’ile de France gardera son nom. Puis, au fil du temps,
des noms apparaîtraient naturellement, gracieux comme des noms de fleurs ou de
rivières sans que des élus peu soucieux de notre culture s’en mêlent.
On
voit par-là que pendant que les uns benchmarkent,
les autres sont au boulot. Faut bien que l’économie continue à tourner.
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